Chapitre 27

4 1 0
                                    

— Je ne comprends pas ! s'exclama Jacques sur le chemin du retour à la tente, après la réunion dans la loge des Sempervivens. Si le dragon est si puissant, pourquoi ne pas le réveiller et le laisser se défendre, sans devoir lever une armée et se lancer dans une guerre qui déjà se profile comme très périlleuse ?

Ralph et les autres se retournèrent vers le soldat. Le lutin s'apprêtait à répondre à son nouvel ami, mais une voix profonde s'éleva derrière lui.

— C'est une question judicieuse pour un étranger qui ne connaît pas l'histoire de Coillenaomh, commença l'hombre, qui suivait le groupe sans qu'ils ne s'en rendent compte. L'homme-pommier se déplaçait lentement dans un bruit de froissement de feuilles.

— Komodo n'est pas, pour ainsi dire, une créature foncièrement bonne. La dernière fois qu'il s'est réveillé, une bonne partie du pays a disparu dans les flammes, simplement parce qu'il s'était vu contrarié. On peut sans exagérer dire qu'il est légèrement susceptible. Il ne fera pas de distinction entre ceux qui cherchent à le protéger et ceux qui visent sa destruction. Il prendra en chasse tous ceux qui seraient aptes à combler son appétit.

— Vous voulez dire qu'il nous mangerait ? demanda Elisabeth, incrédule, qui paraissait une petite fille en cet instant devant sa peur incontrôlable des dragons, une appréhension remontant aux contes et légendes que lui racontait sa mère quand elle était petite.

— Sans une seconde d'hésitation, répondit Abigail.

— Pourquoi nous battons-nous pour le protéger alors ? demanda bien justement Jacques.

— Pour son aura magique, pardi ! s'exclama Ralph. Si Komodo disparait, la forêt de Coillenaomh disparaitra avec lui. Il ne restera plus de ce pays qu'une terre désolée au visage de l'antre horrible des vampires. Je crois que c'est là le but pervers des buveurs de sang et des trolls. Beaucoup de peuples magiques devraient s'en aller voir ailleurs et sans vouloir vous vexer, vous les hommes, n'êtes pas les plus accueillants. Je m'imagine mal les sujets du duc recevoir des meutes de loups-garous sans sourciller.

— Il existe pourtant une légende à laquelle je n'avais jamais prêté attention avant de connaître ces lieux, commença le duc de Coillenaomh. Mon ancêtre aurait chevauché un dragon pour sauver son domaine de l'envahisseur. Le dragon devrait respecter un seul et unique vœu par membre de la famille de Coillenaomh.

— Nous connaissons cette légende nous aussi, dit Rimshot, qui avançait péniblement aidé par deux autres lutins pour arriver à la hauteur du groupe. Nous ne lui accordons cependant pas de crédit. Rien ne nous dit que cela est vrai. Il n'y a aucun témoin d'un pareil pacte entre votre famille et le dragon Komodo.

Albert de Coillenaomh fronça les sourcils. Si cette vieille légende de famille s'était révélée exacte, cela leur aurait facilité la vie. Il lui aurait suffi de dire à Komodo : « détruis ceux qui veulent te détruire et rentre dans ton antre pour un sommeil éternel. »

— C'eut été plus facile.

— Cela l'aurait été aussi si vous n'aviez pas eu l'idée de tirer une flèche en or en plein milieu de notre forêt, répondit Manz, qui n'avait toujours pas digéré cette histoire.

— Ce qui est fait est fait, Manz ! lui répondit le roi Rimshot pour arrondir les angles. Le duc n'avait pas idée de ce qu'il allait déclencher.

Le lutin allait continuer quand un énorme corbeau, plus haut que le roi des lutins des forêts lui-même, se posa devant le souverain. L'oiseau ne prêta aucune attention aux autres personnes en présence, il regarda le roi d'un de ses deux yeux noirs en tournant légèrement la tête et se mit à pousser des croassements variés allant du grave à l'aigu. Quand le volatile se tut enfin, Rimshot se retourna vers l'assemblée.

— Il semblerait que nos ennemis soient plus prompts que nous à se décider. L'armée des trolls et des vampires s'est déjà mise en branle vers le sommet de la plus haute montagne, là-même où se repose Komodo.

— Nous devons nous aussi nous mettre en route immédiatement! s'exclama Jacques.

— Ce n'est pas tout. Une autre armée, humaine celle-là, vient d'entrer dans le pays. A sa tête se trouve la comtesse Dansentutu. Ces nouveaux venus font largement pencher la balance des forces de leur côté.

— Les vampires sont comme une maladie pour la forêt. Je vous l'avais dit, Rimshot. Ils sont nuisibles comme le peuvent être les humains en grand nombre. Il suffit de voir comment les hommes gèrent leurs ressources hors de la forêt, dit un Manz visiblement courroucé.

— Il doit s'agir de Léopold Cancrala qui vient pour son fils. Jamais mon duché ne se lierait avec des vampires ! voulut se défendre Albert de Coillenaomh devant les accusations de l'homme-pommier.

— Nous les écraserons comme les Dansentutu et vous pourrez rentrer chez vous et ne jamais revenir, s'exclama Manz, toujours pas calmé, en frappant de son poing le sol, qui trembla sous l'impact.

Coillenaomh, le bosquet enchantéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant