9- Rêves et souvenirs.

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Plus nous passons devant les maisons et jardins, plus je me sens comme dans un rêve.

Je serre le bras d'Attila contre le mien. Il est dans un état tout aussi contemplatif.

- Ça va ? Demande-t-il.

- Ça va, oui. C'est beau...

C'est lui qui ralentit encore la marche. Il semble également plongé dans un autre monde, c'en est presque étrange de le voir comme ça.

- Et toi, ça va ?

Il y a un jardin derrière lui. Je le regarde, et mon cœur rate un battement.

Je ne sens plus mes jambes.

Ce jardin... Je ne sais pas, j'ai dû en rêver aussi... Ces arbres, ces haies... Cette petite allée bordée de pierres. Cette vasque, son pied avec ces moulures, vide, dans laquelle j'ai pourtant l'impression de voir plein d'oiseaux s'ébattre et s'ébrouer... L'arbre à la balançoire...

Ce jardin : c'est mon jardin. Je ne reconnais pas la maison à laquelle il appartient, mais j'ai ce sentiment puissant, imposant, écrasant, comme une certitude interne, je ne sais pas comment le décrire tellement c'est réel et irréel à la fois, que c'est mon jardin.

Je secoue la tête, dès fois que je sois en train de rêver, ou que je voie mal, ou que mon cerveau imagine des choses qui n'existent pas.

Mais c'est là. Ça crie en moi, ça défonce mon cœur, ça écrase mes tripes : c'est mon jardin.

J'en tombe à genoux.


Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je ne sais même plus ce que je ressens, je suis là, à genoux devant un jardin sur lequel je me tape un méchant trip.

- T'as mis des extas dans la bouteille d'eau ou quoi ?

Attila me dévisage, perplexe.

- Ça te fait bizarre ?

- Grave...

Il passe derrière moi, m'enlaçant pour m'aider à me remettre sur mes deux pieds. Puis reste ventre collé contre mon dos, m'encourageant :

- Laisse faire, imprègne-toi, laisse revenir ce qui doit revenir...

Je n'ai pas tellement d'autre choix, en réalité. Mon esprit n'est plus en mesure que de se remplir de ce qu'il perçoit, un peu comme quand on arrive dans un endroit féerique, et que l'on a du mal à y croire.

Attila me frotte les épaules, et je reste les bras ballants un moment.


Une fois le choc et la sidération un peu passés, lentement, nous nous éloignons. Mon esprit est K.O. Renversé. Je ne sais plus où j'habite. J'accroche mes yeux à tout ce que je peux, pour fuir le bordel dans ma tête.

- Ça va ? me demande doucement Attila.

- Ça va oui... C'est très étrange, ce que je ressens... C'est un peu le bordel dans ma tête, je dois bien l'avouer...

- C'est-à-dire ?

- Eh bien... Comment t'expliquer ? Je ne sais pas bien moi-même ce qu'il se passe en moi. J'ai l'impression d'un vieux rêve qui referait surface et se mélangerait à la réalité... Cette maison me parle, son jardin m'interpelle, j'ai la sensation d'en avoir rêvé maintes et maintes fois... Oh purée !!!

Comme je me fige, il s'arrête et me scrute.

- Oui ?

- Attila... Attila, ce rêve, je veux dire, ce jardin, c'est... Ce n'est pas pour rien que j'ai l'impression de le voir brûlé : c'est mon rêve !!

- Hein ? Quoi ? Tu vois le jardin brûler ??

Je tente de retrouver mon souffle qui se fait court, puis de mettre des mots sur les idées qui se bousculent dans mon esprit.

- C'est mon rêve, oui !! Non mais c'est hallucinant ! C'est mon rêve récurrent de feu : depuis toute gosse, je fais ce cauchemar d'une maison en feu, d'appels au secours de voix d'enfants, de cette peur de jeter mon bébé par la fenêtre, de cette certitude que seule une défenestration pourrait le sauver de son sort. Ce déchirement entre la peur de la mort et la peur de ne pas pouvoir sauver ses gosses, je le connais par cœur, je me réveille toujours avant de jeter l'enfant, terrifiée et en sueur. Je n'ai jamais compris d'où venait ce rêve... Mais là, Attila, là, j'ai une certitude : c'est ce jardin que je vois dans mon cauchemar ! Ce jardin, en proie aux flammes !! C'est complètement dingue, non ?


L'homme me regarde une nouvelle fois au plus profond du cœur, caressant ma joue de son pouce avant de m'attirer contre sa poitrine. Je me blottis contre lui, faisant mon possible pour chasser le trouble de mon esprit.


Nous arpentons lentement le village avant de décider de dîner sur une terrasse pleine de charme, avec sa glycine fournie qui longe toute la façade.


L'air est doux, et lorsque nous avons fini notre repas, plutôt silencieux, assez méditatif, la nuit est tombée, offrant son somptueux spectacle étoilé.

- Mais ! Dis-je soudainement. Tu ne m'as pas montré où tu avais habité !

Attila ne relève pas les yeux de son assiette, prenant son temps pour mâcher ce qu'il a dans la bouche.

Puis il reprend une autre bouchée, qu'il savoure tout aussi longuement.

- Attila ?...

- Mmm ?

- Tu habitais où ? Quand ?

- C'est une longue histoire, finit-il par dire.

- Ce n'est pas comme si je n'avais pas tout mon temps, dis-je sur un ton amusé, pour le motiver.

Il se redresse, prenant appui sur le dossier de sa chaise, et inspire longuement.

Il ouvre la bouche... Puis la referme.

Je fronce les sourcils.

Il ouvre à nouveau la bouche, le referme à nouveau, puis son regard se plonge dans le mien.

- Je te promets de tout t'expliquer en temps voulu. Là... L'instant n'est pas très bien choisi.

Je me défends, avide de comprendre ce qui peut bien se passer en lui :

- Comment ça l'instant est mal choisi ? Nous avons tout notre temps, on est bien, là, et j'ai très envie de savoir ce que tu as vécu.

Ne voyant aucune réaction apparaître sur son visage, j'enchaîne :

- J'ai vécu du lourd, et perdu tout le monde pour avoir osé en parler... Je ne vais pas te juger !! Enfin, à moins que tu ne sois en réalité un psychopathe en puissance, qui aurait dépecé des centaines de filles et violé des poules ?

Ma tentative de le faire sourire le laisse de marbre. Puis son air s'adoucit, et il passe gentiment ses doigts sur ma joue.

- Promis, je te dirai tout.

J'aimerais lâcher l'affaire, mais ça m'agace...

- Et tu ne peux pas juste me montrer l'endroit ? Sans rien dire ?

Pas de réponse.

Je n'insiste pas plus, tout aussi intriguée que vexée qu'il ne me fasse pas totalement confiance. J'essaie de me dire que ce n'est pas une question de confiance, que peut-être c'est juste trop douloureux pour lui, mais si je suis honnête, je suis un peu froissée quand-même.

Amour SacréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant