6- Balade dans l'arrière-pays.

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Et c'est ainsi que nous nous promenons dans les terres intérieures du Pays Basque avec notre vieille bécane.

Le coin est absolument magnifique. Entre montagne et océan, la campagne est verte et généreuse, il y a tout, tout est là, des forêts de fougères aux monts qui laissent admirer la côte marine.

Pour moi, c'est un peu le paradis sur terre.

L'architecture complète la beauté du décor plutôt que de la ruiner, avec ses Labourdines, des maisons de pierres recouvertes de chaux blanches aux colombages parfois verts, souvent rouges. En pénétrant dans les terres, certaines parent leurs façades de pierres roses-rouges.

Ce côté typique, au-delà d'être beau à regarder, harmonise le tout et donne au paysage un petit supplément d'âme.


En premier lieu, et à ma demande, nous allons jusqu'à la Rhune, cette montagne qui surplombe tout le littoral, pour ensuite monter jusqu'au Col d'Ibardin.

Ça me fait du bien de retrouver le Col d'Ibardin...

Je retrouve les odeurs et l'ambiance de mes vacances d'enfance. Ce ne sont que des «ventas», des magasins pour vendre les produits espagnols aux français, mais pour la petite fille que j'étais, c'était jour de fête. Je prenais grand plaisir à bondir comme un cabri sur ce terrain qui me donnait l'impression de dominer le monde.

Nous passons devant le stand de churros qui m'attire depuis notre arrivée, et cédons au plaisir d'en faire notre repas.

En les savourant, nous marchons jusqu'au point de vue qui donne sur toute la côte.

J'explique à Attila que chaque année, nous faisions une photo familiale avec cet arrière-plan magnifique de toute la côte Basque.


Attila admire la vue. Il reste songeur un moment, puis murmure :

- J'adorerais t'emmener à Hawaï...

Mes yeux doivent être immenses !

- J'y ai même vécu quelques mois, sourit-il. Tu verrais les vagues, là-bas, c'est incroyable !...

- Quoi, fais je sur un ton amusé, tu me dis qu'il y a mieux que mon Pays Basque ?

Je rigole, mais je suis impressionnée. Le plus loin où je sois allée, c'est l'Espagne, la Suisse et l'Angleterre. Presque (pour l'Angleterre) que des pays frontaliers, quoi. Les voyages, je me les inventais. Il faut dire que j'étais une enfant avec un imaginaire et une vie intérieure très riche...

- Je suis passé par le Japon, avant Hawaï, ajoute-t-il.

- Par le Japon ? Oh le trip ! C'est marrant, quand j'étais gamine, j'étais fascinée par le Japon, alors que plus trop maintenant, je me souviens que...

Je prends conscience de ce que je vais dire : quand j'avais neuf ans, je me souviens très bien avoir passé le début de mes grandes vacances à écrire un faux journal de bord, décrivant comment j'avais pris l'avion, pour aller... Au Japon... Et puis à Hawaï !!!

- Tu te souviens que ?...

Je secoue la tête pour sortir de la torpeur dont je réalise avoir été soudainement victime à ce souvenir...

- C'est trop chelou... finis-je par articuler.

- Quoi ? Qu'est-ce qui est trop chelou ?

- Ton histoire... MON histoire...

Je lève les yeux vers son regard qui me scrute, à la recherche d'une réponse.

- Attila... C'est dingue... Quand j'étais gosse, je me souviens très nettement avoir passé tout le début d'un été à imaginer comment j'étais allée au Japon, et ensuite à Hawaï... J'étais hyper fière d'avoir décrit un voyage en avion alors que je ne l'avais jamais pris...


Il se marre...

Je suis sidérée, et il se marre...

Puis, d'un coup, il reprend son sérieux, et demande :

- Tu avais quel âge ?

- Neuf ans.

Il calcule mentalement...

- Putain !! s'exclame-t-il.

Je l'interroge du regard.

- Ça colle, dit-il simplement.

Il est plus vieux que moi. Ça colle... Je sens qu'il va me dire ce que je pense qu'il va me dire, et ça me fait légèrement flipper, je ne sais pas trop pourquoi.

- Ça colle ?...

Ouille... Ma voix est bien plus faible que je ne l'aurais voulu...

Il a l'air abasourdi aussi :

- Putain Tessa, c'était le même été...

Nous restons un moment devant la vue, mais je doute qu'il ait été plus capable que moi de se décoller un instant de cette étrange sensation que nous venons de ressentir.


Mes yeux flottent sur le paysage en pensant à ses mots, et au destin...

Était-ce mon destin d'avoir une vie ruinée par la maladie, de tout perdre, de mon corps à mes proches, en passant par ma vie ?

Était-ce mon destin de bosser comme serveuse, et d'être sauvée par un Attila que je n'aurais peut-être jamais vu comme quelqu'un d'intéressant si son sauvetage ne nous avait pas mis en relation ?

Ça me laisse perplexe...

Il passe sa paume dans mon dos, et m'interroge doucement :

- À quoi tu penses ? Qu'est-ce que c'est que ce front soucieux ? Demande-t-il en le lissant de son pouce, effleurant ma joue du bout des doigts.

- Je pense au destin... Dis-je en restant volontairement évasive.

- Oui, j'imagine que ce doit être compliqué d'envisager une destinée quand on a traversé de lourdes épreuves...

Son tact, mais surtout sa capacité à saisir ce que je peux ressentir me laissent toute chose...

Je pose ma tête sur son épaule.

Qu'est-ce que je me sens bien, là...

Il caresse mes cheveux, avec le bras contre lequel je ne suis pas.

J'inspire profondément.

Je voudrais ancrer cet instant en moi, je voudrais qu'il dure toujours.


- Tu crois qu'on a tous un destin tracé ? Je lui demande doucement.

- Eh bien... Plus ou moins oui... Disons que je crois en quelque chose qui nous dépasse. Pas que tout est écrit, non : je pense que c'est à nous de prendre notre destin en main, de choisir la meilleure voie, mais oui, je crois que certaines choses sont écrites. Je crois à la survie de l'âme, par exemple, je crois que l'on vient sur terre pour accomplir certaines choses, pour faire grandir cette âme qui va bien au-delà de la mort.


Moi qui ai perdu une bonne partie de ma famille pendant mon adolescence, cette vision de la vie et de la mort, surtout, me serre le cœur.

J'aimerais tellement y croire !!

- J'aimerais tellement y croire... Tu sais, j'ai été élevée dans l'idée que la vie est le fruit du hasard, et de l'évolution qu'il provoque. Dans l'idée qu'après la mort, il n'y a rien. Le vide. Le néant. Rien. "Il ne faut pas avoir peur de la mort", m'avait dit mon père quand j'avais huit ans, "soit il y a quelque chose, et tout va bien ; soit il n'y a plus rien, et tu ne le sais pas, donc tout va bien aussi "... Il croyait me rassurer ; ça m'avait terrifiée.

Attila me serre contre lui.

- Viens, dis-je, préférant penser à tout sauf ça, à cet instant. J'ai faim. Allons manger !

Amour SacréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant