Chapitre 5 (partie 2)

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— Tu es toujours là ?

— Je suis désolée, Cassie, mais j'ai beau fixer le ciel, je ne vois rien du tout à l'endroit que tu indiques.

Ma respiration se bloque dans mes poumons. Je suis maintenant bien réveillée.

— Attends, je vais essayer avec le vieux télescope de mon père...

Puis le silence se fait dans le téléphone. Il n'y a plus aucun bruit. La télévision est éteinte, mes parents doivent dormir. Même les doux ronronnements de Pollen se sont tus. Seule la pile de cahiers sur mon bureau semble me crier de revenir travailler, avant que je ne le regrette. C'est pourtant déjà trop tard, je viens de sacrifier ma nuit.
Il y a tout de même quelque chose n'anormal puisqu'un télescope est inutile pour l'apercevoir. Elle est assez lumineuse pour l'observer à l'œil nu.

— C'est bon ! dit Lou après quelques minutes. Mais je ne vois toujours rien. C'est le néant total.

— Bon, alors... Qu'est-ce qu'on fait ?

— Hum... Laisse-moi réfléchir. Je sais ! Appelons Mathéo !

— Quoi ?! Pas question ! Il est beaucoup trop tard ! Imagine qu'il dorme ! Je ne vois pas en quoi il pourrait nous aider. Et puis ce n'est pas la peine de l'embêter avec ces histoires...

— Dis plutôt que tu as peur de lui parler ! Et puis tu crois vraiment qu'il se couche à vingt-deux heures ? Personne ne fait ça ! pouffe-t-elle.

— N'importe quoi !

— Trop tard... Je viens de l'ajouter à l'appel... En vidéo, en plus !

— Non, Lou, raccroche ! Je t'en prie !

Trop tard, à peine ai-je prononcé ces paroles que la tête de Mathéo s'affiche sur mon écran. Ainsi que celle de Lou. Et la mienne.
Je passe ma main rapidement dans mes cheveux, pour tenter de me recoiffer, mais c'est peine perdue. De l'autre, je lisse le haut de mon pyjama bordeaux. Lou, qui a tout remarqué, se plie en deux, éclatant de rire.

— Salut, lance Mathéo, il y a un problème ?

— Non, non, enfin, pas vraiment, bredouillé-je. On ne te dérange pas au moins... ?

— Bien sûr que non.

— T'as vu, je te l'avais dit, lance Lou en gloussant de plus belle. Bon, on a besoin de toi, pour vérifier ma théorie plutôt géniale.

— Effrayante aussi... marmonné-je.

Ignorant ma remarque, elle continue.

— Il faudrait que tu regardes dehors, dans le ciel, si tu vois, toi aussi, une étoile ou planète un peu plus brillante que les autres dans la constellation de la Grande Ourse.

— Lou ne la voit pas, fais-je remarquer.

— Oh. Je vois. Attendez, j'ouvre les volets.

Je le vois sortir du champ du téléphone et remarque que mes mains étaient crispées sur le téléphone. Je me détends. Lou a les joues rouges d'avoir tant ri.

Il devait être lui aussi anéanti par la tonne de devoirs, car j'entraperçois des piles de cahiers, de classeurs et de feuilles volantes au travers de l'écran. Il était en train de travailler quand on, euh… Lou, l'a appelé. Quelque chose doit lui tourner dans la tête aussi. Habituellement, il ne commence jamais à travailler un dimanche soir.
Je regarde l'heure, juste au-dessus de la tête de Lou. Vingt-deux heures trente. Le temps file à toute vitesse. La nuit est fichue, et pas seulement la mienne.

— Alors, où est-ce que je dois regarder ? dit Mathéo en reprenant son téléphone.

— Au milieu de la casserole de la Grande Ourse.

— Non, je ne vois rien.

— Mais si, regarde mieux, elle est très visible car elle brille plus que toutes les autres. Quand tu l'apercevras, tu seras fasciné !

— Cassie ? demande-t-il.

— Oui ?

Je rêve ou il vient de m'appeler par mon surnom ? Qu'est-ce que je dois penser ? M'a-t-il déjà appelé comme cela avant ?

— Je ne vois aucune planète à l'endroit que tu indiques. Il n'y a rien, juste le grand vide, c'est tout noir.

— Comme pour Lou... Je ne comprends pas.

Je regarde une énième fois par la fenêtre, comme si la simple présence de la planète pouvait me rassurer. Évidemment, elle n'a pas bougé, toujours aussi scintillante, bien en face de ma fenêtre. J'espérais qu'il la verrait, peut-être pour m'assurer que je ne suis pas folle. C'est raté.
Soudain, ma mère entre dans ma chambre, en pyjama. Je pensais qu'elle dormait. J'espère que mes amis ne diront rien ! Je ne veux pas me retrouver une seconde fois dans cet étrange entretien que j'avais eu avec elle bien plus tôt.

Je tourne légèrement mon téléphone pour montrer à mes amis que je ne suis plus seule. J'espère qu'ils ont compris le message.

— Tu es au téléphone ? demande-t-elle.

— Bonjour Madame ! lance Lou, en faisant un signe de la main.

— Bonsoir, renchérit Mathéo.

— Bonjour.

Elle se tourne vers moi.

— Ne tarde pas trop, tu sais comme le réveil va être dur demain matin.

Elle a raison.

— Tu as fini tes devoirs ?

— Presque...

— Quelque chose te préoccupe, je le vois bien. Si quelque chose ne va pas, n'hésite pas à venir me voir. Par exemple... Bon, rien. Je te laisse. À demain. Bonne nuit, ma chérie.

En sortant, elle affiche un regard anxieux. Des cernes violets ondulent sous ses yeux bouffis. Elle aussi semble préoccupée. Depuis quelques jours, je la soupçonne de ne plus dormir. Je me demande ce qui l'embête à ce point. Et puis, qu'a-t-elle voulu dire ?
Quand elle est partie et que j'entends la porte de sa chambre se fermer, je reporte mon attention sur mes amis.

— Merci de n'avoir rien dit, les remercié-je.

— Ce n'est pas notre style de faire des gaffes ! s'exclame Lou en faisant les cents pas entre les bords de mon écran. Tu peux compter sur nous !

— Mais maintenant qu'on sait qu'il n'y a que toi qui la vois, qu'est-ce qu'on fait ?

— Il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre.

— Mais attendre quoi, au juste ?

— Si seulement on le savait...

L'Étoile Bleue - Espoir [Auto-édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant