1) Xavier

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Xavier est perdu. Son regard aussi. Dans le vide, alors que ses pensées tourbillonnent, vagabondent davantage que les étoiles. Perdu, entre une amitié qu'il craint de gâcher – pourtant déjà anéantie, un amour qu'il haït voir naître – pourtant déjà si encombrant, des sentiments si contradictoires ; peur, amitié, haine, amour. Alors son regard erre, dans le vide entre un lampadaire et les étoiles, derrière la fenêtre crasseuse de leur petit appartement.

Ludovic est fatigué. Son cœur aussi. Il voit bien qu'ils se rapprochent, qu'ils sont mieux qu'il y a quelques mois à peine – une éternité déjà. Il a vu cet avancement comme un nouvel espoir, quand Xavier a accepté de l'accompagner au bar, de se montrer tendre sous leurs regards. Pas de grandes déclarations, stupides de niaiserie. Mais il l'a attrapé par la taille, et quand Ludo lui a dit qu'il l'aimait, il ne l'a pas rabroué comme il en avait l'habitude. Il l'a laissé le dire, peut-être a-t-il étouffé un sourire. Mais rien depuis.

Et ça l'épuise, cette relation à sens unique, plus sexuelle qu'autre chose. Alors quand il monte les marches de l'escalier sinueux qui monte jusqu'au petit appart' qu'ils partagent le temps d'une baise sous les combles, c'est avec l'idée de poser un ultimatum à son petit copain. Évoluer, rendre leur relation exclusive, sortir ensemble. Pour de vrai, un peu comme avant. Comme quand ils étaient amis, peut-être qu'ils auraient juste dû se contenter de ça. Elle était belle, leur amitié. Avant que les embûches de la vie ne les brisent et qu'ils cherchent à étouffer leur peine en couchant ensemble, leur amitié était belle.

D'un geste mal assuré, il toque à la porte qui s'ouvre quelques secondes plus tard sur Xavier. Le teint blafard, le contraste est renforcé par ses yeux et ses cheveux sombres, ses lunettes strictes. L'homme est plus petit que lui, Ludovic le dépasse d'une bonne tête. Pourtant, il peine à avaler sa salive et se ratatine un peu sur le pas de la porte, alors qu'il subit une inspection intransigeante des yeux sombres. Il se sent frémir, son corps réagit malgré lui, et il cèdera surement à une baise d'adieu si Xavier refuse ses conditions. Encore fallut-il qu'il parvienne à trouver l'assurance de les exprimer.

Il entre, le regard scrutateur de son ancien meilleur ami ne le lâchant pas. Il ne sait pas quoi dire, pourtant il y avait longuement réfléchi, mais les belles phrases qu'il avait préparé lui échappe. Ludovic regarde Xavier.

La minuscule fenêtre, au fond de l'appartement, est sale. Au travers de ses carreaux grisâtres, une lumière blanchâtre filtre, jetant ses lueurs sur l'espace étroit. Un simple matelas deux places occupe le coin opposé à la minuscule cuisine, à côté de laquelle une porte mène à la seule autre pièce de l'appartement où se chevauchent presque un WC, un lavabo et une douche. Une vieille armoire est juxtaposée au matelas, isolant vaguement leur espace de nuit du reste de la pièce. Trois étagères un peu branlantes et certainement pas parallèles surplombent l'écran d'une télévision. Elles accueillent un joyeux bric-à-brac, fait de souvenirs et d'objets insolites, on y aperçoit quelques figurines Pop et un radio-réveil Triforce, un paquet de mouchoir avait été abandonné à côté d'un jeu de carte et d'une manette.

C'est Ludo qui les avait installé là, alors qu'il emménageait dans le vieil appartement sous les combles de son ami. Lorsque Xavier s'était séparé de son ex-copain, il lui avait fallut trouver rapidement un nouveau logement. Alors face à cet appartement, certes mal isolé, sombre et sous les combles, mais qui avait le mérite d'être disponible immédiatement et pour un prix dérisoire, il n'avait su faire la fine bouche. C'était un luxe que l'urgence ne lui permettait pas, et sa rupture monopolisait ses pensées. Il ne s'était enquis que du prix et de quand il pouvait emménager, parce que le reste n'avait guère plus d'importance.

Ludovic le rejoignait quelque mois plus tard, à peine. Lorsqu'il avait quitté Émilie, le jeune homme était d'abord retourné chez ses parents, la queue entre les jambes. Il était au chômage depuis peu — une des trop nombreuses sources de tensions avec son ex-copine —, et n'avait guère eu d'autres options. Pourtant rapidement, il avait passé davantage de temps avec Xavier dans son appartement miteux que chez eux. Ils noyaient leur malheur dans l'alcool des bars parisiens au meilleur rapport quantité-prix, avant de rentrer en tanguant jusqu'à leur refuge sous les combles. Ils riaient trop fort en plaisantant sur leurs connards d'ex, d'un rire jaune, acide, qui cachait mal leur tristesse.

Alliance RaibowOù les histoires vivent. Découvrez maintenant