Inconnu d'une nuit

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Ci-gît un souvenir d'Osamu Dazai :

Mémoire d'un nuit unique,
Sous une lune d'octobre
Où j'ai rentré un bel ange
Noble combattant du sort.


Une rencontre foudroyante, une discussion bien trop pleine de sous-entendu. On peut sûrement dire que c'est comme ça que j'ai rencontré le type le plus mystérieux de mes pauvres années d'existence. Et oui, si mystérieux que son visage ne semble plus vouloir quitter mes pensées. Pire encore : je ne connais même pas le nom de cet inconnu qui a réussi à me tirer des abysses en quelques mots seulement...

Il lui avait suffi d'à peine plus qu'un regard pour tout faire basculer. Un seul instant dans ma vie déprimante. Et ce regard céruléen, hanté plus que moi encore et auréolé de reflets lunaires... autant dire qu'il m'obsède, m'enivre même sans alcool. Trop de qualificatif pour un seul mot ? P't'être bien, mais je n'en ai rien à faire. Même si je l'ai croisé qu'une seule fois... une poignée de secondes tout au plus... Momentanément ça avait suffie à me faire tout oublier. Tout laisser tomber. Tout. Même cette diablesse de faucheuse et mes innombrables cauchemars.

La nuit où je m'étais enfin décidé à disparaître pour de bon (pour une énième fois et pas plus tard que la semaine passée). Où j'avais pris la décision de laisser le courant de ce monde me noyer au fond d'un fleuve quelconque... Y a eu cette main sur mon frêle poignet, et cette voix un peu cassée :
          - T'as pas tous les malheurs du monde sur tes épaules, tu sais... N'gâche pas tout maintenant.
Surprit dans mon élan destructeur, je m'étais retourné. Le cœur affolé. Le corps tendu au possible. Une unique phrase flottant en boucle au creux d'mon esprit ravagé "Incapable, t'as encore réussi à t'manquer !". Seulement, malgré mes tremblements et tout l'bordel de mes pensées, je ne m'étais toujours pas dégagé de son emprise. 
          - Qu'ai-je à gâcher, ma vie ? La bonne blague, en 17 piges elle n'a rien value, et pour personne, avais-je réussi à articuler je n'sais comment.
Ce fut à cet instant que j'ai croisé ses orbes bleutés, à la fois si clairs et obscurs... Ses yeux cernés d'insomnie et d'crayon noir m'avait pétrifié. Sans déconner, j'ai été complètement fasciné par ses prunelles de saphir. Ou ensorcelé à la limite...

De son côté, lui aussi m'avait détaillé avec attention. J'crois qu'il essayait surtout comprendre pourquoi un ado comme lui se tenait perché sur cette fichue de rambarde au milieu de nul part. Ce n'est qu'au bout d'interminables secondes qu'il m'avait répondu un : « Et alors ? » lancé comme une satanée d'évidence. Ces deux seuls mots étaient chargés d'une telle désinvolture que ça frôlait l'ridicule. Sans attendre de réponse supplémentaire, il m'avait nonchalamment tendu une main pâle, presque délicate, mais ferme. M'avait éloigné du vide de ses doigts glacés. Pour ensuite disparaître aussi simplement qu'il était venu. Sans préambule, ni avertissement. Et sans se retourner... tel un fantôme hantant les ruines d'un cimetière, s'évaporerait au petit matin sans laisser de traces.

Du coup, qui était donc l'heureux sauveur de mon destin ? Un inconu au moins aussi perdu qu'moi, à la flamboyante chevelure rousse, une odeur de clopes mêlée à celle du cèdre pour tout parfum. Et tout petit qui plus est... la bonne blague !

Aujourd'hui,  à bien y repenser, si ses yeux d'azur mêlés d'une poite d'anthracite étaient si beaux, sublimes même, ils racontaient aussi toute la souffrance, le désarroi, et sutout la colère de leur propriétaire. Trois choses qui sont bien loin de m'être étrangères. Je commence même à croire que c'est la raison pour laquelle il m'a empêché de faire le grand saut. Parce qu'on est un peu trop similaire tous les deux, accords dissonants à travers l'harmonieuse partition de la vie. Deux âmes écorchées par ce monde de fou. Car sinon, pourquoi l'aurait-il fait ?

Bref, on va dire que c'est ainsi que je me suis retrouvé, par un dimanche pluvieux, à me confier aux pages d'un vieux calpin de notes dérobé à Mori, comme une gamine dans son journal intime. Juste parce que je ne veux pas oublier ce souvenier. Pour que rien ne ternisse cet instant précis de ma vie. Cette rencontre fortuite. Si je suis pathétique ? Oui, sans aucune une once d'hésitation. Et je n'y peux rien. J'aurais sûrement le droit d'accuser ma vie trop chaotique ou encore tout ce monde sans queue-ni-tête. Et pourtant non. Je n'y peux strictement rien, et je l'assume très bien. De toute façon, me blâmer moi-même ne sert qu'au plus fou... ou accessoirement à mon cerveau qui raffole de mes sombres cogitations. Sans déconner, je crois qu'il vaut mieux d'être largué par la vie plutôt qu'par l'univers tout entier. Comme ça on s'sent moins con. Enfin, allez savoir... 

Nuit de clair-obscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant