Chapitre 5

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Erdem

J'attrape trois verres sur l'étagère, les faisant se cogner légèrement les uns aux autres. Je souffle, ces derniers jours avaient changé beaucoup de choses, ma vision des choses ou plutôt mon illusion était réduite en poussière. Arsène était à mes yeux la définition même de énervant, ennuyant, ses actions, ses mots je détestais tout de lui. Pourtant maintenant que je suis confronté à la vérité, je le vois comme il est vraiment et non comme l'idée que je m'en étais fait et je ne le déteste plus. Comment pourrais-je ?
Il a été brisé, il est encore si fragile que j'ai l'impression qu'il menace de l'être à nouveau à chaque seconde. Ses yeux reflètent chacune des blessures qu'il essaye de cacher sans avoir réussi à entièrement les cicatriser. Je ne le prends pas en pitié, il a su supporter bien pire je le sais maintenant. Si j'avais pris conscience plus tôt de la situation je l'aurais protégé, j'ai préféré l'ignorer, être aveugle et je m'en sens coupable. Maintenant c'est trop tard le mal est fait, cependant je ne veux plus rester sur mes appuis de haine que je ne dresse que pour me protéger. Je veux que notre relation change, ne plus reproduire mes erreurs. J'espère qu'il me laissera une chance, je n'imagine pas que nous allons devenir les meilleurs amis du monde ça me semble impossible, mais se respecter mutuellement, voir s'aider pourquoi s'y opposer après tout.

Les verres, les bouteilles et les petites assiettes posés soigneusement sur un plateau je retourne dans le salon. Je dépose le tout sur la table basse.

- Et voilà pour ses messieurs !

Je scrute le visage d'Arsène, qui semble se noyer dans sa réflexion. Ses yeux se relèvent et nos regards se croisent pendant qu'il esquisse un sourire maladroit en guise de remerciement. Je détourne rapidement la tête, reportant mon attention sur mon meilleur ami affichant une expression satisfaite.

Neil rempli nos verres et je fronce les sourcils me demandant ce qu'il peut bien avoir en tête quand un tintement me sort de mes pensées. Une notification apparaît sur le téléphone de mon colocataire et je le vois écarquiller les yeux à outrance.

- Tu vas bien ? Il se passe quelque chose ?

Je me précipite de lui demander passant outre la distance que nous avions instaurée ces dernières années. Je le vois tenter de former une phrase en vain, dépassé par la panique. Je me rapproche de lui et prends ses mains tentant de le rassurer.

- Ne t'inquiète pas, rien de grave.

- Tu veux en parler ?

- C'est juste que..

Je caresse le dos de sa main avec mon pouce pour l'encourager à terminer sa phrase.

- Mon ex petit ami vient de m'envoyer un message. Ça fait si longtemps qu'il m'a laissé, je ne m'attendais pas à le voir revenir.

Je déglutis suite à ses paroles sans vraiment savoir pourquoi.  Je ne veux pas qu'il retourne vers lui, il n'avait qu'à pas le laisser après tout. Je croise le regard de Neil qui me lance un regard plein de sous entendu que je ne saisis pas.

- Ça va aller, ne te torture pas l'esprit pour lui.

Il hoche la tête silencieusement. Je le prends dans mes bras et il se laisse tomber dans mon étreinte.

Arsène

Je n'ai pas envie d'affronter la réalité, je me réfugie dans cette étreinte inattendue sans savoir quels sont les mots qui m'ont été adressés et ce qu'ils produiront chez moi. Juste pour un instant encore je souhaite laisser filer le temps et profiter du sentiment rassurant qui m'enveloppe.
Je ferme les yeux tentant d'oublier tout le reste, ce qui m'entoure, ce monde et cette vie.

J'entends la voix de Neil de façon lointaine et quelques secondes plus tard la porte se fermer. Je comprends qu'il est parti et je me crible intérieurement de reproches d'avoir laissé paraître une image si faible. Une main traçant des cercles sur mon dos me coupe dans mes pensées.

Je murmure quelques mots de remerciements s'accordant parfaitement à l'irréalité de la situation. Je sens ses bras se refermer plus fermement autour de moi et ses doigts s'entrelacer avec mes mèches, et je n'ai pas ma force ou peut-être simplement pas l'envie de m'en détacher.

Après un certain temps je me mets à m'agiter en ressassant les derniers événements.

- Tu veux regarder ?

Sa voix est posée et je sais qu'il a compris mes pensées. Me sentant légèrement honteux je hoche discrètement la tête et il me tend mon téléphone. Je le déverouille et lis le message. Un simple "Salut, ça fait longtemps ! Tu vas bien ?" apparaît sur l'écran. Je le montre à Erdem de façon spontanée, comme si rien n'était plus logique. Je le vois froncer les sourcils.

- Tu comptes lui répondre ?

- Je pense, c'est plus poli.

- Je te fais confiance mais ne te force à rien par politesse, compris.

Je le regarde sans vraiment comprendre et répond au message avant de me laisser tomber dans ses bras une nouvelle fois lorsqu'il me tire contre lui.

- Je ne t'abandonnerai pas Arsène.

Mon cœur loupe un battement, quel traître.

- Merci.

- Tu n'as pas à me remercier, je serais un monstre de faire différemment.

Parfois les gens changent avec le temps, mais là ce n'est pas un changement, j'ai littéralement l'impression que mon monde est différent et pourtant j'ai confiance. Cela n'a aucun sens, dépasse toutes logiques. Mais j'ai agis ainsi avant même de m'en rendre compte.

Nous ne parlons plus, pas un mot ne s'échange et pourtant j'ai l'impression que mille promesses s'échangent. Et je ne cherche pas à savoir si mon cerveau me joue des tours, si j'ai trop d'espoir. Non, je ne cherche rien, je laisse juste la vie décider comme si je pouvais lui faire confiance.

Je l'ai tant haïe alors pourquoi arrêter maintenant ? Tout pourrait s'avérer être faux. Mais ça n'a pas d'importance, pas de valeur, je ne laisse plus les "Et si" dominer ma vie. Je prends le risque car j'en suis certain : ça en vaut la peine .

Tissu d'illusions Où les histoires vivent. Découvrez maintenant