Astra Rekker

Chapitre 11

Quelqu'un l'observait. La sensation de picotements ne s'en allait pas.
"Qui est là ? Montre toi."
Un léger rire se fit entendre et une chimère apparut dans le couloir. Elle était violette et ne possédait qu'une fente noire verticale au milieu du front, laissant supposer un œil. La chimère riait à un rythme sporadique, du rire léger d'une petite fille insouciante.
La tête d'Astra bourdonna subitement et, d'un geste instinctif, elle visualisa un mur dans son esprit. Le bourdonnement se changea en une attaque contre sa défense et Astra eut beaucoup de mal à garder son mur. Elle se concentrait avec tout le peu de force qu'elle avait malgré la fatigue mais sentait son mur se fissurer.
"Original conscient, se protège malgré son état. Pas assez forte. Pas assez faible." chantonna la chimère de sa petite voix fluette. "Ne peux pas voir souvenirs."
La créature repartit et Astra relâcha un souffle qu'elle n'avait pas conscience d'avoir retenu. Elle haletait. Si la chimère avait forcé encore un peu, elle aurait percé sa défense. Astra devait absolument récupérer des forces. Même avant d'aller s'entraîner avec son oncle, elle avait plus de force et d'énergie. Cet endroit la privait des ondes et de son énergie. Il fallait qu'elle sorte.
Mais que voulait cette chimère ? Elle avait une drôle de façon de parler et ressemblait à une enfant. La jeune fille fouilla dans sa mémoire mais rien n'y faisait. Elle n'avait jamais vu ou entendu parler d'enfant-chimère.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas le garde qui s'approchait de la cellule. Elle sursauta au bruit de la clé dans la serrure.
Le garde la libéra de ses chaînes, relia ses poignets par des menottes plus fines et lui banda les yeux. Astra se releva difficilement et précéda son geôlier hors de sa cellule.
Ils reprirent le même chemin que la veille et la prisonnière s'efforça de mémoriser tout ce qui pourrait lui être utile : les tournants, les courants d'air, les voix hostiles ou peureuses,... Mais le garde ne lui laissait pas de temps. Dès qu'elle ralentissait, elle était bousculée pour avancer, ce qui la faisait trébucher. Ses pieds nus s'écorchaient sur le sol rugueux et Astra les devinait rouges.
Comme la dernière fois, un arrêt, trois coups rapides, deux lents, cinq rapides. La porte grinça et Astra fut poussée à l'intérieur d'une pièce. Mais cette fois, on lui délia les poignets sans l'attacher nulle part. La porte claqua en se refermant, faisant sursauter l'adolescente.
Elle se tint ensuite immobile, ne sachant pas ce qu'on attendait d'elle, ni même si on l'observait ou si elle était seule.
Après ce qui lui sembla une éternité, une voix commença à résonner dans la pièce.
"Asssstra, bonjour à toi. J'espère que tu t'es bien reposée. Enlève ton bandeau veux-tu ?"
Tremblante, la jeune fille exécuta et dénoua le tissu. Celui-ci tomba par terre dans un léger bruissement. Contrairement à la veille, la salle était plongée dans l'obscurité. Seul un petit rai de lumière en-dessous de la porte donnait un léger reflet sur une vitre teintée au fond de la pièce.
"Professeur, peut-on s'approcher maintenant ?" susurra une voix fluette semblable à celle du matin sur la droite de la jeune fille.
"Camille, tu as déjà eu ton tour ce matin, réprimanda une voix plus grave qui sembla rebondir sur tous les murs. Laisse-les essayer."
Astra frissonna au son de la voix étrangement familière et se frotta les bras dans un geste de réconfort.
"Qui, qui êtes-vous ?" demanda-t-elle d'une voix pâteuse.
"Je pense que ce n'est pas le moment pour toi de te préoccuper de moi. Le professeur et moi-même avons d'autres choses à faire." répondit-il en rigolant.
Le silence se fit et Astra trembla de plus belle. Sous les doigts, elle sentait les croûtes de sang séché qui parsemaient ses coupures non-traitées. Que pouvaient-ils vouloir de plus, et pourquoi ?
La lumière s'alluma d'un coup, agressant les yeux de la captive. Après un léger temps d'adaptation , elle aperçut l'endroit où elle se trouvait. Elle était entourée de petites chimères, toutes semblables à des enfants. La prénommée Camille, se trouvait un peu à l'écart et semblait bouder, ses fins bras mauves croisés sur son torse.
Astra se tourna sur elle-même et compta les créatures. Une, deux, cinq, dix, quinze. Son visage se décomposa et elle jeta un coup d'œil vers la vitre. Et maintenant ?
"Allez-y."
Les chimères s'approchèrent lentement de la jeune fille tout en s'exclamant entre elles.
"C'est notre originale ?"
"Elle a l'air faible."
"Il lui ont restreint ses ondes non ?"
"Je veux savoir ce qui nous manque."
"Ses souvenirs, ils nous les faut !"
"Si je la tue je serais l'original ?"
Astra était pétrifiée et son espace se réduisait de plus en plus. Des piques commencèrent à attaquer son esprit et elle érigea tant bien que mal une barrière mentale. Mais elle était faible, quelque chose l'empêchait toujours de voir les ondes et son corps meurtri lui faisait mal à chaque mouvement. Elle ne connaissait pas le but des chimères qui s'approchaient mais n'avait aucune envie de le savoir. Elle ne connaissait pas non plus leur niveau mais, même si elles n'étaient pas fortes, elles étaient nombreuses. Astra n'était pas de taille et le savait.
L'image de son oncle lui revint en mémoire. Que lui était-il arrivé ? Non, elle ne pouvait pas abandonner. Quoi que ces gens voulaient, elle ne pouvait pas leur donner. Alors la jeune fille prit une grande inspiration, un peu d'élan et se fraya un rapide chemin à travers le groupe de chimères. Ses jambes avaient du mal à supporter l'effort et sa barrière mentale se fissurait toujours plus, laissant accès à des bribes de souvenirs. Elle devait sortir d'ici. Mais elle devait savoir pourquoi elle était là. Alors, lorsque les petits se ruèrent à nouveau sur elle, elle se campa sur ses jambes tremblantes et se prépara. Elle n'avait qu'une seule et unique chance.
Astra laissa sa barrière mentale exploser et profita de ses morceaux pour attaquer ses assaillants. Leurs esprits étaient trop proches, trop impliqués, pour pouvoir éviter l'attaque et, même si celle-ci était faible, ils la subirent de plein fouet. Surpris, ils arrêtèrent leur attaque pendant un instant. L'adolescente en profita pour glaner le maximum d'informations possibles.
Elle vit alors à travers les yeux de chaque créature. Les jours en laboratoire, créations à partir de tissus sanguins de diverses personnes. Elle vit le professeur avec sa blouse blanche susurrer des paroles incompréhensibles, mais aussi un tableau blanc. Astra se concentra sur celui-ci et déchiffra rapidement une des parties visibles ; Capacités élémentaires, ok. Capacités physiques, ok. Capacités innées, manquantes.
Soudain, son esprit bourdonna et Astra dût sortir des esprits pour se protéger. La chimère nommée Camille l'observait de son œil unique et souriait. Elle lança une offensive qu'Astra ne réussit à contrer. La jeune chimère fouilla son esprit de fond en comble, avant de se retirer brusquement.

Astra, qui se tenait la tête et hurlait de douleur, était tombée à genoux. La chimère se rapprocha et posa sa main violette, passant devant son cou tatoué d'un numéro 17, sur le front d'Astra. Une douleur semblable à celle que le professeur lui avait infligé la veille incendia son esprit mais, au lieu de revoir ses cauchemars, la jeune fille observait deux ombres qui parlaient à voix basse.
"Nous avons besoin des Rekkers pour parfaire les capacités mentales." dit l'une des ombres.
"Ils ne sont pas les seuls à avoir ce type de capacités. Et ils sont difficiles à approcher. Ceux que tu as ne suffisent pas ?"
"Non."
"Soit, soupira la deuxième ombre. Je vais t'amener du sang de cette famille. Après tout, je comptais m'en débarrasser à un moment."
L'image changea et Astra aperçut son oncle.
"Il ne nous est plus utile. Tuez-le."
"Ma... Pour...quoi..." commença Harold dans un souffle.
"Pourquoi ? Mais parce que, une fois mort, ta chère nièce sera sans défense et tu ne pourras plus t'opposer à moi. Tu crois que je n'avais pas remarqué que tu essayais de prévenir ma famille ? Que tu essayais de prévenir tout le monde ? Mes expériences portent enfin leurs fruits, je ne te laisserais pas les gâcher. Meurt, Harold."
L'image disparut et Astra reprit lentement ses esprits. Camille était penchée au-dessus d'elle et tenait une sorte de filament flou dans sa main. Elle se tourna vers la captive et sourit tristement.
"Je navrée, chuchota-t-elle de sa voix fluette avant de lancer le filament sur ses camarades qui se relevaient. Doit leur donner un peu de mémoire. Viens. Vite."
Astra se risqua à prendre la main tremblante qu'elle lui tendait. Immédiatement, l'air se brouilla avant de reprendre forme normale. De ses pieds nus, Astra sentit de l'herbe lui chatouiller les orteils. Elle sentit ensuite son estomac se retourner et se retint de vomir avant de se tourner vers la chimère. Celle-ci pleurait silencieusement.
"Camille désolée. Camille pas savoir."
La chimère tremblotait et des larmes coulaient de son oeil noir.
"Camille gagner temps, toi courir. Kira là-bas." dit-elle en pointant du doigt derrière Astra.
"Camille... commença la jeune fille, et toi ?"
"Camille déjà morte, jamais vivante. Camille trouver sens avec toi. Doit empêcher professeur avoir souvenirs. Camille gagner temps puis sacrifier."
"Quoi ?! Non, tu ne vas pas te sacrifier pour moi, viens avec moi !"
La chimère sourit avant de pousser Astra alors que des gardes arrivaient en courant. Alors la jeune fille chuchota un merci et, à contrecœur, força son corps à courir dans la direction indiquée. Jetant un regard en arrière, elle vit que Camille souriait.
"Camille heureuse de t'avoir rencontrée." dit sa voix fluette dans l'esprit d'Astra. "Merci, adieu."
De loin, la jeune fille aperçut une explosion. C'était effectivement le meilleur cadeau possible. Camille lui avait offert la liberté, avait retenu les gardes et fait disparaître totalement son corps, le rendant inexploitable pour le professeur. Elle ne pouvait pas gâcher son sacrifice. Tout en continuant de courir, Astra pleura la mort de cette enfant chimère qui, à peine rencontrée, lui avait donné sa vie.