Le retour des fils

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Il faisait si sombre. Tout y était si humide. Froides et dures, quelques roches perçaient le sol de leurs bords crénelés comme des dents monstrueuses. Un pas après l'autre, une main posée contre les parois suintantes de cette cavité, dans le silence, ils avançaient.

Seul le bruit des bottes claquant sur une terre boueuse rythmait leur marche. Personne n'osait interrompre le fil des pensées qui occupait chacun d'entre eux. À quoi pouvaient-ils songer ? Au faste d'Asgard, à ses murs dorés brillants au soleil ? À un énième acte de trahison salvateur ? À l'épouse et aux enfants délaissés ? Ou aux étranges visions cauchemardesques qui hantaient la Sentinelle de la cité désormais privée d'un œil ?

De cette ceinture astrale mordorée entourant son unique orbe ébène, Heimdall rassemblait le fil des événements. Il reliait chacun d'entre eux en autant de constellations que le ciel pouvait contenir. Dans le métier à tisser de son esprit, il œuvrait dans l'espoir d'en deviner la trame. Et il devait se rendre à l'évidence, les quelques morceaux qu'il avait déjà réussi à raccommoder ne présageaient que du pire. Une myriade de particules flottaient dans son iris. Elles furent tout à coup emportées par les flots qui se teintèrent d'un rouge vermillon.

Dans cette vision, porteuse de malheur et de souffrance, il avait vu des bêtes s'emparer de Sigyn et de ses fils avant de rejoindre l'ombre qu'elles avaient quittée... Heimdall s'était bien gardé de le dire aux autres. C'était trop tôt, trop soudain comme la douleur qui s'écoule du cœur supplicié d'une mère ayant perdu son enfant. Il était peut-être le dieu qui voyait tout, il restait incapable de prédire l'avenir et les actes qui découleraient de cette annonce. Mieux valait s'en garder surtout auprès du principal intéressé qui marchait silencieusement à ses côtés.

Baigné par la noirceur du tunnel, le dieu du chaos progressait lui aussi. Les mains posées contre les parois rêches, il tâtonnait pour se guider en tapotant frénétiquement cette dureté froide. Les bouts de ses doigts picotaient au point de lui donner une désagréable sensation d'engourdissement alors que sa vision s'éclaircissait peu à peu. Il redevenait un peu plus lui-même, celui qu'il avait été et celui qu'il serait.

Le froid glacial qui parcourait ce boyau sombre ne pouvait plus l'atteindre désormais. Ses pouvoirs lui avaient été rendus, lui ouvrant ainsi les portes de sa terre. Le dieu avait laissé derrière lui ses oripeaux de mortel pour revêtir son habit d'apparat asgardien, mais ce n'était pas l'unique chose qu'il avait abandonnée sur Midgard. Une larme coula le long de sa joue qu'il essuya d'un revers en remerciant la discrétion du lieu où il se trouvait.

La respiration lourde de Thor frôla alors sa nuque. Quelque chose semblait alourdir son âme. Un poids le tirait vers le bas et l'entraînait dans les abysses de sa propre honte. Il passa une main dans sa barbe moite et ses longues mèches défaites qui lui collaient au visage. Le fils prodigue était de retour et il ne pourrait échapper au quand dira-t-on.

Derrière lui, et étonnamment mutique, Amora battait le minerai de ses talons. L'onde de ces claquements, résonnait le long de la roche témoignant ainsi de l'arrogance manifeste de leur porteuse. Pourtant des pensées secrètes échauffaient l'esprit de l'Enchanteresse. Elle connaissait le sort qu'on lui réservait. Elle y avait déjà goûté...

Cette obscurité souveraine, cette puanteur moribonde et cette solitude insupportable. L'amertume de son dernier séjour dans les geôles d'Asgard collait encore à son palais en déclenchant ainsi des frissons répugnés sur tout son corps. Elle avait pourtant accepté consciemment son destin bien qu'elle espérât y échapper.

Latente, la crainte, elle, demeurait. Prédatrice sournoise, elle la suivait partout dans l'attente du moment propice, de l'instant de faiblesse opportun, pour lui sauter à la gorge et dévorer les derniers remparts de sa lucidité.

L'Espoir d'une Renaissance (Loki - Tome III)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant