Sombres présages

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La nuit avait été fraîche. Quelques nuages morcelaient le ciel de leurs silhouettes cotonneuses. Engourdie par les jeunes frimas de l'hiver, la nature s'éveillait doucement. Les champs à l'orée d'Asgard paraissaient recouverts d'une fine couche de sel, si brillante sous les feux d'un soleil matinal.

Un vent frais soufflait depuis les sommets qui ceignaient la cité des dieux. Le vent du nord cinglait, aussi vif et agité qu'un étalon fou. On disait en cette saison que ce vent touchait la neige avant de s'abattre sur la plaine.

Du haut de sa tour, Heimdall frissonna. Il devinait une présence. Timide ou calculatrice, elle préférait ne pas se montrer. Mais le dieu à l'œil perçant ne s'y trompait pas. Elle avait beau se rendre invisible, il la percevait. Cette indistincte et indéchiffrable sensation le fit frémir à nouveau. Quelque chose d'infiniment désagréable grandissait autour de lui. Il avait cette impression tenace que cette chose se resserrait invariablement sur son crâne comme l'aurait fait un étau sur des os trop fragiles. Ses veines se mirent à palpiter, ses muscles, à brûler ; une terreur telle qu'aucune autre le tourmentait. Il fut saisi d'effroi. Il le savait. Il l'avait sentie. Elle approchait.

Réfugié dans ses pensées, le dieu du chaos contemplait l'aurore. Enflammé par un quelconque maléfice inconnu, et brûlant les iris des quelques naïfs qui l'observaient, le soleil se profilait à l'horizon. Il embrasait le ciel de toute sa gloire. Une gloire infinie et éternelle conquise aux ténèbres. C'était un matin comme un autre, et pourtant, peut-être qu'aucun autre matin après lui ne serait le même.

La clarté du ciel s'étalait sur les joues de Sigyn encore enfouie sous les couvertures. Sa peau palissait sous les rayons de l'astre. Sa longue chevelure formait des vagues sombres sur la blancheur des draps où elle avait su trouver le sommeil. Le regard du dieu se perdit dans cette mer lugubre qui aurait avalé le plus fier des navires. La profondeur de sa chevelure, cette noirceur abyssale qui mourait sur une grève livide, elle le glaçait. Une force impérieuse l'attirait vers l'insondable chute pour l'entraîner vers le fond. S'il sombrait, il ne pourrait remonter à la surface. Les algues se refermeraient sur lui et leurs ondulations placides, se figeraient en un funeste présage. Il sentit l'air manquer dans ses poumons.

Il inspira lourdement pour exorciser cette peur tapie en lui. Sigyn dormait toujours. Ses traits, doux, montraient les signes de la plénitude de ceux exempts des tourments de l'âme, l'offrande d'une beauté naïve que des peintres mortels auraient pu emprisonner sur une toile. Un bras posé mollement sur sa poitrine, elle paraissait si exsangue, comme en quête du souffle qui lui aurait donné vie. Des cernes ternissaient, la fine peau logée sous ses yeux clos. Des nuages passèrent et couvrirent ses lèvres et ses paupières d'un ombrage tout aussi sinistre.

L'éclat des pleurs du bébé réveilla la jeune maman sortie d'un repos léthargique. Elle eut un sursaut lorsqu'elle aperçut la silhouette de son époux, derrière les fins voiles qui tombaient des arches du balcon.

« Que fais-tu ? s'enquit-elle en allant chercher l'enfant qui réclamait ses bras.

Paralysé par sa vision, le dieu demeurait silencieux.

« Oh, ma chérie. Maman est là. »

Un baiser réussit à calmer la petite créature qui demandait à apaiser une nouvelle faim nocturne. La jeune mère, s'assit et lui offrit le sein que le nouveau-né se mit à téter goulûment.

« Loki, que se passe-t-il ? Tu sembles si... étrange... Dis-moi ce qui trouble tes pensées.

— Vous n'auriez pas dû rester ici. C'est le malheur qui nous attend.

— Cesse d'être aussi pessimiste ! Il ne nous arrivera rien car tu es là.

— Je serai incapable de vous protéger face à elle ! Vous n'avez aucune idée de ce dont elle est capable. Elle est la mort et l'horreur à elle seule, une entité malveillante parvenue des tréfonds de la terre. Et elle est en colère... terriblement en colère...

L'Espoir d'une Renaissance (Loki - Tome III)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant