II. Piano-Forte

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BRISEIDE

Les paupières alourdies par le sommeil, je fixe mes chaussures couvertes de boue depuis l'arrière de la voiture. Les vitres sont si sombres que je ne peux pas voir la route défiler et comprendre où je me trouve. De toute façon, le brouillard aurait rendu la vision difficile. Soudain, une voix me tire immédiatement de mes pensées :

- Madame la vomisseuse a un prénom ? me demande le blond en se tournant vers moi pour établir un contact visuel direct.

- Anna ! Je m'appelle Anna.

Je n'aime pas mentir, mais c'est pour une bonne raison. Je ne vais pas révéler mon vrai nom à des parfaits inconnus rencontrés en plein milieu de nulle part. Je n'ai pas encore atteint ce niveau de folie, je crois. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai catégoriquement refusé de donner mon adresse pour qu'ils me déposent chez moi.                                        C'est déjà bien de ma part d'avoir accepté de monter dans leur voiture. Un taxi viendra me chercher chez eux, où je pourrai d'abord nettoyer tout ce désordre nauséabond.

- Enchanté Anna, moi c'est Olaf.

Je plisse les yeux pour mieux analyser ses traits et comprendre s'il se moque de moi, mais il a l'air sérieux. Quelques secondes s'écoulent pendant lesquelles nous nous fixons, puis il éclate soudainement de rire avant de se redresser sur son siège. Il se met à chanter à pleins poumons le refrain de la chanson de La Reine des Neiges :

- Libérée ! Délivrée !

- Arrête ta comédie musicale, Val, en plus tu chantes vraiment mal, dit-elle.

- Excuse-nous, Beyoncé, je ne pensais pas que...

- Enchantée, Anna, moi c'est Valeria, et le véritable prénom de ce crétin est Valentino, le coupe-t-elle.

- Val pour les intimes, dit-il d'un ton exagérément charmeur accompagné d'un clin d'œil.

- ...et il s'excuse auprès de tes tympans.

J'observe le reflet de Valeria dans le rétroviseur intérieur. Ses yeux verts sont captivants, et le trait d'eye-liner parfaitement tracé les rend encore plus magnifiques. Je scrute son visage sur la glace pendant quelques minutes, et je ne peux m'empêcher de remarquer la ressemblance frappante entre eux : les mêmes traits du visage, les mêmes yeux verts émeraude, la même couleur de cheveux d'une brillance presque aveuglante, et la même carnation légèrement bronzée. Je parierais qu'ils sont frère et sœur. Je n'ose pas demander, car je suis consciente que cette information ne me regarde en aucun cas, et de toute façon, après ce soir, je ne les reverrai probablement plus jamais, donc il est inutile de poser la question.

Nous empruntons un chemin étroit bordé d'arbres, qui nous mène à un immense portail en fer s'ouvrant après que Valeria a appuyé sur une mini télécommande. Je reste bouche bée devant la grandeur de la maison. Ou plutôt un manoir ?                                                                              L'architecture est baroque, ornée de colonnes en marbre. Encore une fois, sommes-nous vraiment à New York ? Aux États-Unis ?

Valeria se gare juste devant une fontaine ronde en pierre placée au centre du grand porche. Avant de quitter le véhicule, je sors de mon sac à dos la petite pochette contenant les produits d'hygiène et mes médicaments. Nous traversons l'allée et montons les quelques marches menant à la porte principale. D'une main, Valentino sélectionne un code sur une boîte accrochée au mur, en la cachant de l'autre, certainement pour que je ne puisse pas le voir.                                                             
La porte s'ouvre mécaniquement et j'aperçois le hall. Mes yeux sont immédiatement attirés par le sol carrelé : un damier de marbre noir et blanc, qui brille faiblement à la lumière de la lune.

BRISEIDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant