Chapitre 3

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Tala retrouve son petit appartement, au troisième étage de l'immeuble. La porte à peine fermée derrière elle, elle laisse échapper un profond soupir. Le calme et la chaleur du lieu lui font du bien. Son chat vient lui souhaiter le bonsoir, se frottant à ses jambes en ronronnant affectueusement, ne lui laissant pas le temps de quitter son manteau et ses bottes.

Elle allume la télévision d'un geste distrait tout en prenant son petit compagnon dans ses bras. Elle ne regarde jamais avec attention les programmes qui peuvent être diffusés, c'est pour elle un simple bruit de fond.

Se préparant une tasse de café au lait, elle s'installe dans son canapé. Un vent puissant s'est levé et son sifflement lui parvient comme un murmure à travers les volets légèrement fermés. L'animal câlin se couche sur ses genoux, ronronnant d'avantage tandis qu'elle sirote la boisson chaude.

Petite boule de poils noirs, elle l'a trouvé dans la rue, affamé et apeuré. Elle n'a pas eu le cœur à le laisser là, dehors. Depuis, il lui rend au centuple toute l'affection qu'elle lui donne.

La voyant plongée dans ses pensées, le caressant distraitement, le jeune chat lève ses yeux bleus vers elle. Pour se faire remarquer, il miaule doucement. Elle lui adresse un sourire forcé, comme pour le rassurer.

— Pardon Réglisse, je suis ailleurs.

Elle pense encore à ce qui s'est passé quelques instants plus tôt.

Elle n'a jamais eu de problème de ce genre là jusqu'à présent. Le quartier est pourtant tranquille, il n'y a pas eu d'incident depuis qu'elle y est installée. Il a fallu que ça tombe sur elle ce soir-là...

Et quel est cet être étrange qui lui a sauvé la mise ? A-t-elle rêvé à ce point ? Et cette voix, si troublante qu'elle la trouve presque mystique, sortie d'un autre monde ? Est-ce le fruit de son imagination ? Elle ne peut pas en être certaine. Cette lame sur sa peau, elle l'a pourtant bien sentie, si froide...

Pour éviter d'y penser plus encore, elle file dans sa cuisine pour se préparer quelque chose de chaud. À rêvasser, elle n'a pas vu le temps passer et l'heure du repas est déjà là. Elle n'est pas bonne cuisinière mais elle se débrouille. Réglisse vient se hisser sur le haut tabouret derrière elle, pour l'observer. Les odeurs de cuisson lui font se lécher les babines. Les moustaches frémissantes, il a faim.

Partageant son repas avec son petit compagnon, elle songe au lendemain. Il lui faut préparer son sac. Une grosse journée l'attend, surtout qu'elle joint études et travail. Le soir, elle doit garder deux jeunes enfants à la sortie de l'école en attendant le retour des parents. Il lui faut gagner un peu d'argent pour financer son inscription à la faculté et payer son loyer.

Tout à la lecture du dernier roman qu'elle vient d'acheter, elle se laisse aller à rêvasser. Réglisse s'endormant sur ses genoux, elle ne tarde pas à le rejoindre dans le royaume des songes. Le livre encore entre les mains, elle sombre dans le sommeil sans s'en apercevoir. Sa nuit est alors peuplée d'animaux et de créatures imaginaires sorties des histoires les plus incroyables...

Au petit matin, elle met ses rêves sur le compte de ses lectures fantastiques. Elle ne fait même plus attention à tous ces titres qui constituent sa bibliothèque personnelle. Il y en a tellement. Et tous parlent de mondes étranges, de peuples mystérieux et d'êtres merveilleux. C'est sa façon à elle de s'évader de son monde si triste, si morne et sans magie aucune. Et elle tient à ces romans, pour les incroyables voyages dans lesquels ils la plongent au fil des pages.

Son chat vient lécher le fond de sa tasse de café, la sortant de ses pensées, et elle esquisse un sourire en l'écartant. Il n'y a pas droit et il le sait. Mais il ne peut pas s'empêcher d'y glisser les moustaches. Après avoir pris une douche rapide et avoir remplie la gamelle de Réglisse, Tala quitte son petit appartement pour se rendre en cours.

Le vent n'a pas faibli depuis la veille. Il fait, semble-t-il, encore plus froid. S'il se met à neiger de nouveau, elle n'en serait pas étonnée. Rabattant la capuche de son manteau sur ses cheveux sombres, elle presse le pas pour se réchauffer. De la buée sort de sa bouche et ses doigts gelés la brûlent bientôt.

Son sac en bandoulière, elle regrette d'avoir dû quitter son lit et sa couette chaude. Tandis qu'elle marche, elle ne se rend pas compte que, dans l'ombre, deux yeux ambrés la suivent du regard...

Elle grelotte presque en attendant à la station de tramway. Soufflant dans ses mains pour les réchauffer, elle maudit cet hiver qui s'annonce particulièrement rigoureux. Et quel n'est pas son soulagement quand la rame arrive enfin.

En gagnant sa salle de cours, elle remarque qu'elle est un peu en avance, comme bien souvent d'ailleurs. Tala s'asseoir au centre de l'amphithéâtre et sort un livre de son sac pour patienter.

L'heure arrivant, les élèves se font bientôt plus nombreux. Une jeune femme aux cheveux clairs avance doucement dans le dos de l'étudiante en pleine lecture. Les yeux noisette pleins de malice, elle la fait sursauter en la saluant gaiement.

— Kaliska ! Tu m'as fichu une de ces peurs !

— Salut ! répond cette dernière avec un franc sourire. Qu'est-ce que tu lis ? Encore une histoire de loups ? Tu as toujours un livre avec toi, ma parole !

Tala esquisse un petit rictus. Comment avouer à son amie qu'elle a raison ?

C'est alors que Kaliska remarque un détail. Ses sourcils se froncent de concentration alors qu'elle porte doucement ses doigts sur le cou de sa camarade aux cheveux sombres.

— Tu t'es coupée ?

— Non, pourquoi ?

— Tu as une petite entaille à la base du cou. Que s'est-il passé ?

Sa soirée de la veille lui revient aussitôt en mémoire.

À son regard surpris et rêveur, la jeune femme aux cheveux clairs se montre insistante. Voyant que le cours n'a pas encore commencé, Tala prend donc le temps de lui raconter. Elle n'oublie aucun détail, lui parlant même de ce regard de flammes. Elle est persuadée de ne pas avoir rêvé. Et cette petite coupure le lui confirme.

Kaliska lui fait remarquer que c'est quelque peu incroyable mais ne doute en aucun cas des dires de son amie. Elle a seulement un peu de mal à imaginer ce qui s'est réellement passé.

Tala, pour sa part, n'ose pas lui parler de cet inconnu qu'elle a croisé dans le hall de son immeuble. Qu'en aurait-elle dit ? Son amie la chambrerait certainement et cette idée lui arrache un rictus au coin des lèvres.

Peu à peu, les élèves s'impatientent dans l'amphithéâtre. Le professeur n'arrive toujours pas après bien vingt minutes d'attente et certains étudiants quittent déjà la salle.

— Il semblerait que Monsieur Prech n'est pas là aujourd'hui, en conclut la jeune femme aux cheveux clairs. Nous voilà dispensé d'un cours barbant de biologie ! Il avait prévu de nous parler des tests en laboratoire, non ? Quelle chance !

— Tout à fait de ton avis. Je n'avais guère envie d'entendre parler d'expériences douteuses sur de pauvres bêtes. Un café, ça te dit ?

— Je suis plus thé, plaisante Kaliska.

Les deux étudiantes quittent donc la salle tout en discutant. Les couloirs sont déserts, les cours ont commencé. De temps à autres, elles croisent un élève ou deux en retard.

Tandis qu'elles descendent les escaliers pour gagner la petite cafétéria, un groupe de pressés arrive vers elles. Tala, bousculée par un étudiant distrait, manque une marche...

Le Clan du Loup - Tome 1 : L'Esprit du LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant