Chapitre 1

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A écouter : Durch den Monsun, Tokio Hotel.

Charly, 2009.

— Quelle relation entretenez-vous avec vos fans ?

Je déteste cette question, mais elle revient malheureusement très souvent en interview. C'est tellement... large. Elle ne veut rien dire. On dirait qu'ils pensent que les fans de Neptune constituent un groupe totalement homogène avec lequel on peut avoir une seule et unique relation. Néanmoins, j'ai appris à construire une réponse acceptable que je sers avec le sourire :

— Ils me motivent au quotidien. Tous les messages que je reçois, leurs lettres, les échanges que je peux avoir en dédicace ou en concert, et parfois en backstage, sont extrêmement précieux. Je ne les remercierai jamais assez de soutenir autant Neptune. Tout ce qui nous arrive en ce moment, c'est grâce à eux. Ils m'aident à réaliser mon rêve et je leur suis reconnaissant. J'aimerais tellement pouvoir connaître chacun d'entre eux, mais c'est devenu difficile ces derniers temps parce que... eh bien, ils sont vraiment nombreux !

Dans les faits, il y en a quand même certains avec qui j'ai une relation privilégiée. Les fans de la première heure, de l'époque où on jouait à la salle des fêtes, ceux qui nous attendent à la sortie de chaque concert et qui nous suivent toute la tournée, ceux avec qui, sans que je puisse l'expliquer, j'ai accroché en quelques secondes. Mais il y a aussi ceux qui me font peur parfois : ceux qui hurlent, me font des déclarations d'amour enflammées, prétendent tout connaître de moi. Je n'étais pas préparé à ça. Je ne m'y habitue pas et j'ignore si je m'habituerai un jour.

Le journaliste hoche la tête en prenant des notes sur son calepin. C'est un homme blanc d'une trentaine d'année, avec des cheveux bruns et un très grand nez. Il porte une chemise bleue à rayures qui me fait penser à un haut de pyjama. Cette interview sera publié un magazine pour ados imprimé à des dizaines de milliers d'exemplaires. Je suis le seul dont il a souhaité avoir une interview solo. Ça me met toujours extrêmement mal à l'aise d'être le plus sollicité par les médias. Est-ce que c'est parce que je suis le seul garçon du groupe ? Ou est-ce le sort de tous les chanteurs ? Difficile de savoir.

— Pour terminer cette interview, je sais qu'on doit souvent vous poser la question, mais êtes-vous encore célibataire ?

— Oui.

Je crois que même si ce n'était pas le cas, je ne le dirai pas. Les muscles de mes épaules se crispent. Je sais exactement quelle question va suivre. J'échange un regard avec Lauren, mon agente, assise dans un coin de la pièce pour surveiller l'interview. Nous nous sommes isolés dans une petite salle de réunion du studio où nous nous enregistrons en ce moment des demos pour le nouvel album.

Elle fronce les sourcils. Elle aussi n'apprécie pas quand les journalistes s'intéressent d'un peu trop près à notre vie privée. Surtout quand il s'agit de notre vie amoureuse. Surtout quand les questions concernent Hayet ou moi, considérant que nous sommes encore mineurs.

— Vous êtes sûr ? Pas de petite amie ? Pourtant vous semblez très proche d'Hayet.

— Non, je la considère plutôt comme une sœur.

Je tente de garder un ton neutre, pour ne pas montrer mon agacement susceptible d'être sur interprété. Mais la vérité est que je suis las de ces questions sur Hayet et moi. Comme si l'amitié garçon-fille n'existait pas. Ou alors, uniquement si le garçon en question est gay. D'ailleurs la suite ne se fait pas attendre.

— Et un petit ami ?

— Non plus.

Pour une fois, la question n'est pas frontale. Certains journalistes n'ont aucun scrupule à me demander si je suis homosexuel de but en blanc, pour chercher à me déstabiliser et obtenir des aveux. Je déteste quand ils font ça. Apparemment, il est impensable qu'un garçon avec du vernis et du crayon sur ses yeux soit hétéro. Sans compter le fait que je fasse partie d'un groupe de filles.

Chœur de menteursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant