A écouter : Jung und nicht mehr jugendfrei, Tokio Hotel
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Laura, 2009.
Maman ouvre la porte de ma chambre sans frapper. Comme toujours. Je referme brusquement le carnet dans lequel j'étais en train d'écrire. Qu'est-ce qu'elle me veut encore ?
Elle a mis son manteau bleu, celui qui descend jusqu'à ses genoux. Elle s'apprête à sortir et veut sans doute me proposer de l'accompagner. Sa bouche est pour le moment occupée à tenir une pince et ses mains entortillent ses cheveux bruns de façon à former un chignon rapide. Je la regarde terminer de s'attacher les cheveux avant de demander :
— Quoi ?
— Je vais à Inter.
— OK.
Je la vois venir à dix kilomètres. Et ça ne rate pas :
— Tu viens avec moi ?
— Je suis obligée ? J'ai super mal au ventre.
Ce n'est même pas un mensonge. J'ai mes règles et comme à chaque fois, c'est un enfer. J'ai tout sauf envie de bouger ou pire : aller faire les courses.
— Tu as pris un spasfon ?
— Oui.
Ça ne fait absolument rien, mais c'est le seul médicament que ma mère m'autorise. Selon elle, c'est censé suffire pour les douleurs de règles. Elle soupire.
— Tu auras qu'à m'appeler quand tu rentres, je descendais pour ranger les courses, proposé-je en espérant que ça suffise.
Je n'ai aucune envie d'aller faire les courses, surtout pas avec maman. Elle va vouloir parler dans la voiture et moi je n'ai rien à lui dire. À mon grand soulagement, elle n'insiste pas.
— OK. J'en ai pas pour longtemps. Tu n'ouvres à personne.
Cette fois, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Elle croit que j'ai cinq ans ou quoi ? Mais elle est déjà partie, en laissant la porte ouverte bien sûr. Je me lève pour la refermer. En tendant l'oreille, je peux entendre ses allées et venues au rez-de-chaussée. Je guette le bruit des clés dans la serrure, je compte bien profiter de son absence pour utiliser l'ordinateur.
Techniquement, je n'ai le droit de l'utiliser qu'une demi-heure par jour, plus une heure le samedi. Sauf si c'est pour le lycée, par exemple si j'ai un exposé à préparer. Mais une demi-heure, c'est beaucoup trop court ! On ne fait rien en une demi-heure. Ça me laisse à peine le temps de lire les nouveaux messages sur le forum et alors ne parlons pas de lire les updates des fanfictions que je suis ou de taper à l'ordi mes histoires. Ça prend un temps monstrueux. J'en suis réduite à ruser.
Parfois, je me demande si mes parents se doutent de quelque chose. En tout cas, ils ne m'ont jamais posé de questions.
J'entends enfin la porte d'entrée claquer. Je me poste à la fenêtre pour observer maman passe le portail. Je préfère toujours m'assurer qu'elle soit bien partie avant de descendre. Lorsque la voiture tourne enfin au coin de la rue, je laisse retomber le rideau.
C'est le moment. Mon carnet sous le bras, je descends précautionneusement les escaliers. Merde, j'ai trop mal quand je bouge. Je serre les dents. L'ordinateur trône sur un bureau dans un coin du salon. Bonjour l'intimité, c'est pire qu'au lycée. Au moins au CDI, je peux choisir un poste un peu isolé de façon à ce que tout le monde ne profite pas de mon écran. Par chance, il est déjà allumé, ce qui m'économise de précieuses secondes. Je m'installe plus ou moins confortablement, mes pieds sur l'assise et mes genoux ramenés contre mon torse pour me soulager. C'est toujours mieux quand je suis recroquevillée.
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Chœur de menteurs
Teen FictionA 16 ans, Charly et Laura se rencontrent sur un forum d'écriture. En sécurité derrière leur pseudo, tous leurs deux s'autorisent à explorer leur identité, très différente de celle qu'ils performent au quotidien. A qui mentent-ils réellement ? A cet...