Chœur de menteurs

Chapitre 15

Charly.

Al s'est déconnecté. En regardant l'heure, je constate que ça faisait presque une heure qu'on discutait sur MSN. Il était censé travailler pour ton TPE, force est de constater que j'ai participé activement à sa distraction. Je ne suis même pas désolé. C'est cool de s'envoyer des mails, mais discuter en live, c'est encore mieux. Surtout que maintenant je peux mettre ma webcam. Lui n'en a pas, mais c'est pas très grave. Je sais à quoi il ressemble, même si la photo qu'il m'a envoyée était en noir et blanc et pas de très bonne qualité.

Ce n'est pas qu'on s'écrit tous les jours, mais... si on s'écrit tous les jours, que ce soit par mail ou par texto. Il ne répond pas à tous mes SMS, mais il m'en envoie au moins un le soir s'il n'a pas pu se connecter sur son ordinateur. Ça me rappelle l'époque où je n'étais pas en illimité, ça ne me manque pas du tout.

Si on me demandait de quoi on parle tous les deux, je ne saurais même pas répondre. On se raconte nos vies, on discute de musique, de mangas, de films. Rien de très palpitant, c'est sûr, mais c'est pas comme si je voyais souvent des gens de mon âge. Neptune m'a immergé dans le monde des adultes sans que je puisse vraiment réfléchir à ce que ça impliquait. Tous mes anciens amis – excepté Hayet bien sûr – vont au lycée et sont rarement disponibles. J'en ai revus certains pendant les vacances, mais c'était bizarre. Plus comme avant. Et en scrollant sur Facebook, je ne peux que constater qu'on a arrêté de m'inviter aux soirées. Même celles où j'aurais pu potentiellement me rendre, par exemple celle du nouvel an.

Mais pour être honnête, je n'ai pas pensé non plus à demander s'ils prévoyaient quelque chose. C'était évident que je fêterai la nouvelle année avec les filles. On a tous été invités à une soirée organisée par notre maison de disque, avec plein d'autres artistes que je rêvais de rencontrer.

Avec Al, c'est jamais bizarre, ni gênant. On a toujours des choses à se raconter, il n'y a jamais de blanc. Je ne regrette pas de lui avoir donné une seconde chance. J'aurais clairement raté quelque chose si j'avais refusé de lui pardonner. Il a flippé, ça arrive à tout le monde. Et il s'est bien rattrapé.

Les semaines passent sans que je me lasse une seule seconde de nos conversations. Quand je me réveille le matin, mon premier réflexe est d'attraper mon téléphone pour vérifier s'il ne m'a pas envoyé un SMS dans la nuit. Parfois oui, parfois non. Il se couche beaucoup plus tard que moi. Ce qui est certain, c'est qu'à chaque fois que son prénom est affiché sur mon écran au petit matin, je suis sûr de passer une bonne journée.

J'ai hâte d'être en mai. Au concert de Nantes plus précisément. Il viendra, il m'a promis qu'il ferait tout pour venir. J'aimerais avoir une machine pour avancer dans le temps. Je me demande comment ça sera, se rencontrer en vrai. Se voir. Se toucher. Se parler en face à face. Est-ce que ça sera comme dans les films, quand deux amis se retrouvent sur un quai de gare après ne pas s'être vus pendant des mois ? Ou est-ce que ce sera tristement décevant ? Non, ce n'est pas possible.

Est-ce qu'on peut parler de coup de foudre amical ? Comme Nana et Hachi. On se ressemble tellement et en même temps, on est si différents. On se comprend. C'est un peu comme si on était connectés. Il me comprend. Il m'écoute. Et il sait toujours trouver les mots pour me réconforter. Et il écrit tellement bien. Ses histoires parviennent à me changer les idées et à me faire ressentir des émotions tellement fortes. Ou est-ce que ses histoires me touchent à ce point parce que je sais que ce sont les siennes ? Il me fait lire tout ce qu'il écrit, absolument tout. Ça me fait me sentir privilégié. Unique. Spécial. J'aime cette idée.

Je suis tiré de mes pensées par la voix autoritaire de mon père.

— Charly ! Viens ici un peu !

Son ton ne me dit rien de bon. Je referme mon ordinateur et sors de ma chambre avec une certaine appréhension. Je trouve mes parents dans la cuisine. Maman est adossé au plan de travail, les bras croisés. Encore en costume, sa cravate dénouée, Papa tient une lettre à la main, les sourcils froncés. Et merde. À tous les coups, ce sont mes résultats du premier trimestre. Je me mors la lèvre inférieure.