Chapitre 36

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Lorsque son réveil somma, Minho émergea d'un demi-sommeil qui n'avait rien eu de réparateur. À vrai dire, depuis que Jisung avait dit adieu et refermé la porte derrière lui, ses souvenirs étaient flous. Il passa sa main à travers ses cheveux qui crissaient contre sa peau, puis vint apposer ses paumes contres ses tempes. Il appuya fort, mais rien ne se passa. Ses yeux étaient secs d'avoir trop pleuré. Son corps était vide.

Il sortit un pied du lit, se rappelant à peine y être monté la veille. Le sol était dur et froid. Dans son salon, des éclats de verre étaient dispersés sur le parquet. En remontant cette piste, Minho constata que son miroir était fracturé à trois endroits. Trois coups, secs et rapides, avait été appliqués à hauteur de visage. Minho jeta un œil au dos de ses mains. Sur ses phalanges commençaient à se former des croutes de sang séché. Il en grata une et un filé vermillon s'en échappa. Il releva le regard. Son image se reflétait à l'infini sur les brisures, jamais complète. Bien. Il le préférait ainsi.

À l'aide de journal, il rassembla les morceaux tranchants un par un. Les voir disparaître au fond du sac poubelle avait quelque chose de réconfortant. Il décida de garder le miroir. Les pièces manquantes complétaient le vide dans sa poitrine. Il revêtit ensuite un haut propre et un jeans sobre et quitta son appartement. Surtout ne pas penser.

Les Temps Modernes lui servit la distraction idéale. Hocher la tête. Saluer. Préparer différentes boissons. Organiser la vitrine. Débarrasser. Sécher. Ranger. Essuyer. Ces tâches ne lui demandaient pas d'être conscient. Pas vraiment. La seule chose dont il se sentait incapable était de sourire. Les muscles de ses joues avaient déserté son visage en même temps que Jisung lui avait jeté un dernier regard troublé. Non. Ne pas penser à Jisung. Ses mains se mirent à trembler à cette seule allusion. Il ne pouvait pas se permettre de s'effondrer maintenant.

Seungmin arriva plus tard dans la matinée. Il n'adressa pas la parole à son collègue, et Minho lui en était reconnaissant. Cela aurait été n'importe qui d'autre et il n'aurait pu le supporter. Mais la présence de Seungmin était telle qu'elle l'avait toujours été : efficace. Sans se concerter, Seungmin déambula entre les tables, nota les commandes et distribua le joli visage du café tandis que Minho se renfrognait derrière son bar. Cette danse absurde perdura jusqu'en début d'après-midi, lorsque qu'il devenait trop tard pour les cafés du midi mais trop tôt pour les goûtés des plus jeunes.

« - Mmh, Minho ? » Le brun releva la tête, ses yeux perdus dans le vague. Il voyait Seungmin sans vraiment le voir, était présent sans vraiment l'être. « Ça te dirait de passer ce soir ? » Minho cligna des yeux deux fois. « T'as l'air d'en avoir besoin. »

Minho eut un mouvement de recul, comme recevant un électrochoc. Tu n'as pas décidé d'être heureux. Tu ne me parles pas. Les mots de Jisung résonnaient encore dans son esprit. Comme ceux de son frère. Tu n'en mérites pas tant. Egoïste. Egoïste. Qui avait raison ? Qui avait tort ? Seungmin le regardait toujours de ses yeux francs.

Minho hocha la tête. Seungmin lui offrit un sourire en coin, un peu forcé, qui sonnait faux sur son visage trop sérieux pour son âge.

Une fois leur ménage terminé et la boutique close, les deux garçons attendirent à l'arrêt de métro de l'autre côté de la rue. Minho n'était jamais allé chez Seungmin. Il ne connaissait pas même l'adresse de son collègue. Ce n'avait jamais été important jusqu'à maintenant. Et Seungmin ne lui fournissait pas plus d'explication, attendant en silence que le brun le suive. La dette que Minho lui devait s'allongeait. Peut-être devrait-il cesser de penser à ses relations comme des transactions. Il lui emboita le pas.

L'appartement de Seungmin se trouvait au cinquième étage d'une résidence étudiante. C'était petit, en mauvais état et parfaitement rangé. Les chaussures étaient triées par couleur dans l'entrée et les fourchettes dans le tiroir se trouvaient entreposées sur la tranche. Un autre jour que celui-ci, Minho se serait ouvertement moqué de lui.

Il prit place sur l'une de deux chaises qui ornaient la table à manger alors que Seungmin s'affairait dans la cuisine. Il revint avec deux canettes de bières ouvertes.

« - Je me suis dit que ça se prêtait à l'occasion. » Minho fit tinter le métal de sa canette contre celle de son acolyte avant de se servir une gorgée. C'était aussi amer que le goût qui emplissait sa bouche depuis la veille. Ça avait le goût de cendre et de regret. Mais bientôt ses jambes se détendirent et son crâne devint un peu moins lourd à porter.

« - Alors ? » Seungmin n'était pas comme Wheein. Il ne le pressera pas à se confier, il ne tentera pas de le réconforter. Si Minho décidait de garder le silence, alors ils finiraient leur bière et en resteraient là. C'est peut-être cette perspective qui encouragea Minho à parler.

« - J'ai quitté Jisung. » Seungmin reprit une gorgée de sa boisson, toujours aussi impassible.

« - OK. » Minho plongea son regard dans le fond de son récipient. Un puit de noirceur et l'alcool au bout.

« - Tu vas pas me demander pourquoi ?

-J'imagine que t'as tes raisons.

-Tu vas pas me dire que j'aie fait une erreur ?

-Il n'y a que toi qui peux décider si c'est une erreur ou non. »

Des rires stridents suivis de pas rapides s'infiltrèrent en dessous de la porte, rumeur de vie étudiante aussi exaltante que futile. Minho reprit une gorgée de sa bière. Les premiers effets se diffusaient lentement dans son organisme. Ses émotions comme anesthésiées.

« - J'avais l'impression de l'entraîner vers le bas. De ne pas pouvoir lui offrir ce dont il méritait. Je suis toxique pour lui. »

Seungmin gardait son regard fixé sur le mur blanc derrière le brun. Tous ses murs étaient blancs. Blanc cassé, avec quelques tâches de-ci de-là, réminiscences d'un ancien locataire moins scrupuleux. Pourquoi ses murs étaient-ils si nus ?

« - Ce sont toutes des raisons valables » finit par dire Seungmin. « Si tu sentais que tu n'étais pas bon pour lui, comment tu aurais pu t'épanouir dans la relation ? »

Il devint plus facile pour Minho de respirer. Seungmin avait ouvert la cage qui emprisonnait sa poitrine alors qu'il ne s'était même pas rendu compte qu'il ne détenait pas les clés. Il avait besoin de sa reconnaissance. Il avait cru se foutre de l'avis de son collègue, pourtant il ne souhaitait rien d'autre qu'entendre Seungmin affirmer que ses sentiments étaient 'valables'.

« - Je ne pense pas que tu sois toxique, pour qui que ce soit, et certainement pas pour Jisung. Bordel, j'ai jamais vu ce gamin aussi heureux que lorsque tu lui accordais ton attention. Mais ça ne veut pas dire que ce que tu penses, comment tu te sens, vaut moins. Je suis personne pour juger ta relation avec Jisung, mais je pense que tu as pris la bonne décision. J'aimerais juste que tu réalises que tu n'es pas mauvais, Minho. »

Minho du serrer les dents pour ne pas se mettre à pleurer.

« - Tu dis ça parce que tu sais que c'est ce dont j'ai besoin d'entendre ?

-Oui mais aussi parce que je le pense. Tu es quelqu'un de bien, à qui il est arrivé de mauvaises choses. Ne les laisse pas t'abattre. »

Seungmin avait finit sa bière. Il la réduisit en une boulette d'aluminium au creux de sa main et en sortit deux autres.

« - Si je continue comme ça, je vais jamais être capable de rentrer.

-Tu es le bienvenu si tu veux rester dormir. J'ai un matelas gonflable. » Minho ouvrit sa seconde bière. Seungmin hocha la tête.


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Café et chocolat forment le meilleur des mélanges [MinSung]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant