Chapitre 4

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Remus regardait, désemparé, Regulus compléter avec une efficacité et une facilité sidérante le plus difficile de ses exercices, un de ceux qui lui avaient demandé des heures et des heures à ne-serait-ce que comprendre quand il étudiait encore le latin. Alors certes, à l'époque, il était de trois ans le cadet du Regulus actuel, mais tout de même. Après seulement deux semaines de cours, il y avait de quoi avoir envie de se flinguer.

Les jours étaient passés aussi rapidement qu'ils passent habituellement en été : en un clin d'œil. La première semaine, Remus avait mis un point d'honneur à porter tous les jours des vêtements propres et différents de ceux de la veille puis, quand il s'était rendu compte que c'était toujours Regulus qui venait lui ouvrir et qu'ils ne croisaient jamais personne dans les couloirs feutrés, il s'était mis à enfiler ses tee-shirts graphiques colorés avec des pantalons mal-assortis, ce qui avait le don à la fois de faire légèrement sourire Regulus et d'allumer dans son regard une curieuse lueur nostalgique.

Malgré ses talents d'humoriste – qu'il savait grands – Remus ne parvint pas une seule fois à faire rire Regulus intentionnellement. La première fois que le miracle s'était produit, il avait trébuché sur un tapis en velours et étalé de tout son long sur le sol, son front manquant de peu l'angle de la table basse. En voulant se relever, un rire moqueur lui avait arraché ce qui lui restait de la dignité dans laquelle il essayait vainement de se draper. Mais Regulus riait, une main en travers de la bouche, les écarquillés, la tête renversée en arrière.

« Pas si imbaisable que ça » avait pensé Remus.

Il avait par la suite tenté de réitérer son exploit, mais Regulus éclatait toujours au moment où il était le plus spontané. Quand il vulgarisait tel ou tel philosophe tant qu'il en ôtait tout le sens, quand il replaçait un tee-shirt troué comme s'il s'était agi d'un vêtement de grande qualité, quand sa bicyclette déraillait quelques mètres après qu'il était monté dessus et qu'il croisait le regard amusé de Regulus à sa fenêtre. Il suffisait de quelques mots crus dont il ne se rendait même pas compte, d'un geste qu'il savait habituel mais qui paraissait ici complètement décalé, et Regulus riait à s'en décrocher la mâchoire, découvrant pomme d'Adam et clavicules saillantes.

Et tout était terminé ; Remus n'allait pas faire semblant de lui faire cours pendant un mois et demi de plus, Regulus savait déjà tout. Il n'était d'ailleurs pas sûr que le jeune homme ait un jour eu besoin d'aide – sur ce sujet-là du moins.

-Tu pourrait rester.

La voix de Regulus, nette, implacable, brisa le cours de la réflexion de Remus. Il ne lui semblait pourtant pas avoir pensé à voix haute – il ne se rendrait compte que quelques heures plus tard qu'il ne l'avait, en effet, pas fait, Regulus possédant simplement cette merveilleuse perspicacité propre aux aristocrates – aussi se contenta-t-il de répondre par un « Quoi ? » qui ressemblait plus à un coassement qu'à un mot.

-Tu serais payé. J'aimerais que tu restes.

Sauf que Regulus n'aimait jamais rien. Il avait beau être d'un intelligence et d'une singularité remarquable, il était aussi le plus pessimiste des êtres qu'il ait été donné à Remus de rencontrer. Une sorte d'immense gouffre dans lequel s'était engouffré tout l'espoir qu'il avait un jour pu posséder. Regulus riait, certes, mais surtout, Regulus se moquait. Regulus parlait, mais Regulus parlait avec un dédain au bout des mots, une façon de rouler les voyelles qui hurlait à la supériorité écrasante. Regulus vivait, mais Regulus était mort.

-Ta mère n'y verra pas d'inconvénients ?

-Ma mère n'a pas besoin de savoir, claqua Regulus. Elle voulait que j'ai de la compagnie, j'en ai. Elle voulait que je connaisse le latin, c'est chose de faite.

-Lourd, répondit Remus.

Un sourire étira les lèvres de Regulus qui posa une main sur son épaule. Remus leva les yeux vers lui et vit dans son regard une qualité nouvelle, un air qu'il ne lui avait jamais vu après avoir pourtant passé deux semaines à fixer son profil dans la lumière de juillet. Presque malicieux.

-Il y a d'autres choses que tu pourrais m'apprendre.

¸,ø¤º°'°º¤ø,¸¸,ø¤º° the lovers °º¤ø,¸¸,ø¤º°'°º¤ø,¸

Regulus ne sous-entendait, bien sûr, rien de sexuel, ce qui pourrait paraître évident pour quiconque se serait retrouvé dans la situation de Remus. Mais Remus venait de la Ville, Ville pourrie qui corrompait les esprit où chaque recoin empestait les mauvaises pensées.

Non, en réalité, Regulus voulait connaître le monde. La vie des gens normaux, avait-il dit, ce qui, en théorie, aurait dû offenser Remus, sauf qu'en pratique, il tentait vainement d'effacer de son esprit quelques fantaisies qui s'y était invitées en même temps que le quiproquo. Entre autres le corps nu de Regulus emmêlé dans ses draps immaculés, cheveux à peine emmêlés, peau glacée. Même dans les rêveries de Remus, Regulus était une forme épurée, une statue immobile aux angles aigues, dont jamais le visage ne se tordait de plaisir. De quoi refroidir même les plus entrepreneurs.

Regulus voulait connaître la Ville, comme Remus la connaissait, sans filtres et sans ces petits chemins qui séparait le manoir du nuage de fumée intoxiquée qui entourait les premières rues sinueuses et s'accrochait en haut des immeubles branlants.

Alors, puisqu'il était payé, Remus raconta. Il parla de Henry, de son vélo déraillé, de l'odeur de la fumée, de la pauvreté et de la douleur, des visages en larmes peints sur les murs gris et tristes, des terrasses qui dépassaient sur la rue, des scooters qui circulaient dans tous les sens, des balcons qui se chevauchaient et de ceux qui dealaient dans des coins obscurs. Il parla de la laideur, de l'horreur, de la méchanceté.

Remus parla de la beauté aussi. Il parla de l'odeur de liberté qui recouvrait parfois soudainement celle de l'usine, des pluies de fleurs qui déferlaient dans les rues quand le vent était assez fort pour les amener des forêts alentours jusqu'à eux. Il parla de juillet qui couvrait la Ville d'un filtre sépia, de décembre qui viendrait bientôt refroidir leurs ardeurs, des rideaux multicolores, des vieilles dames sur les bancs.

Et tout le temps qu'il raconta, Regulus ne le quitta pas des yeux, ses yeux bleus, glaciaux, bordés de rangées de cils immenses, comme pendu à ses lèvres.

Pas une fois Remus ne parla de lui-même, de son appartement à l'avant-dernier étage, de ses propres rideaux faits chemises trouées, ou de Grant qui continuait de débarquer sans prévenir et à qu'il ne parvenait pas à renvoyer chez lui. Il percha ces mots-là hors de portée de la voracité de Regulus, gardant pour lui des bouts de sa vie qu'il avait pourtant si fièrement accroché aux murs de son appartement.

Il y avait quelque chose dans ces yeux-là, avides, qui lui soufflait que Regulus n'aurait que faire qu'il s'agisse de sa vie, qu'il la disséquerait comme il disséquait chaque information qu'on lui donnait, chaque phrase en latin, chaque question, chaque détail.

Alors quand il remarqua que Regulus le fixait curieusement, suivant du regard ses cicatrices, quelques mots lui démangeant le bout des lèvres, Remus murmura qu'il ferait mieux de rentrer.

Il n'était pas encore prêt à affronter ces regards-là. 

the lovers. [WOLFSTAR AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant