Chapitre 5

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On disait que un à deux pourcents de la population mondiale étaient roux. À la Ville, c'était pire ; non seulement les enfants roux étaient rares mais, en plus, ils semblaient prendre un malin plaisir à déménager, mourir, se teindre les cheveux ou voir les vapeurs toxiques de l'usine les décolorer lentement.

Tant et si bien que Remus était presque sûr que la Ville devait avoir un pourcentage négatif en termes de rousseur.

Une autre chose dont il était sûr était qu'aucune fille d'ici ne portait de robes, encore moins blanches, et encore moins accompagnés de marguerites tressées dans les cheveux.

Roux. Des cheveux roux.

Il y avait alors deux solutions ; ou bien cette fille était un miracle, une apparition sortie d'une de ces maisons dont personne ne sortait jamais, funambule sur le fil de la beauté éphémère qu'elle représentait, pleine d'une joie de vivre que la Ville avait perdu depuis longtemps. Ou bien elle n'était pas d'ici.

Et la valise qu'elle avait en main semblait confirmer la seconde option, alors Remus dut soigner l'espoir insensé qui lui avait tordu la poitrine quand il l'avait aperçu depuis l'extrémité de la rue. Aucune apparition divine ne viendrait sauver les vieux os de la Ville.

Deux garçons lui tournaient autour comme des mouches tourneraient autour d'un pot de miel. Entre autres, deux grosses mouches affamées, en tee-shirt crasseux et aux fronts luisants. La fille n'avait pas l'air d'avoir si peur que ça. Elle se tenait fière, le menton haut, les cheveux toujours aussi roux.

C'était vraiment une étrange couleur pensait Remus, debout sur sa bicyclette alors qu'il s'approchait doucement d'elle. Flamboyante à travers le brouillard chimique, bien trop visible pour que ce soit prudent.

-Tout va bien ? demanda Remus quand il se trouva à portée de voix.

Les deux garçons n'avaient pas l'air de réellement la menacer pourtant, dès que Remus se fut approché, ils se redressèrent, réajustèrent leurs vêtements, comme deux enfants pris en faute face à un adulte.

-Lupin, murmura l'un d'eux.

Remus ne quittait pas la jeune fille des yeux. Elle se tenait droite, fière, farouche.

-Tout va bien ? répéta-t-il.

La fille refusait de croiser son regard, comme si les yeux de Remus, enfoncés dans ses orbites cernées de cicatrices pouvaient la brûler. Oh, c'était sûr, il avait l'air bien moins présentable que ces deux garçons. Si les habits qu'ils portaient avaient leurs similarités – mal assortis, trop larges, sales, troués – les cicatrices de Remus formait sur son visage un entrelac impossible à ignorer, le genre de chose qui accrochait toujours les regards quand de nouvelles personnes emménageaient.

-Tout va bien, répéta encore Remus, un peu plus fort puisque personne ne répondait.

Il réaffermit sa prise sur le guidon de son vélo. Les deux garçons en face de lui semblaient à tout prix éviter son regard. Remus avait beau fouiller sa mémoire, il ne parvint à leur associer aucun nom. Ils n'avaient sur les os qu'une peau fine, translucide, luisante. Leurs cheveux retombaient en mèches grasses sur leurs fronts concaves. Ils avaient couverts leurs silhouettes décharnées d'habits trop grands, trop fins, même pour la saison.

Remus avait déjà vu des agresseurs. Il avait vu des hommes assoiffés de mal et de vengeance, brûlant du désir de faire souffrir. Remus avait vu dans leurs yeux la soif dérangeante de vice, de douleur.

Quand il plongea au fond des pupilles des deux garçons, il ne trouva qu'un vide profond, dévastateur. Une absence totale de tout ce pourquoi les autres s'étaient un jour battu. Une résignation finale et complète, l'attente d'une fin sans goût, comme un livre que l'on clôture et qui laisse sur le bout de la langue un curieux arôme d'inachevé.

the lovers. [WOLFSTAR AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant