Chapitre 8

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Ce fut dans ce couloir, accroupi dans l'ombre, que Remus entendit parler de Sirius Black pour la toute première fois. N'oubliez pas ce nom car il prendrait une importance démesurée quelques semaines plus tard.

Les lumières étaient éteintes dans le corridor, et les lourdes tentures aux fenêtre ne laissaient passer du soleil de l'après-midi, que quelques raies pâles et timides. Regulus avait replié ses grandes jambes contre son torse et les avait entourés de ses bras. Sa tête couvertes de boucles épaisses et noires vagabondaient contre l'épaule de Remus, qui respirait par bouffée son parfum sans parvenir à l'identifier clairement. Un mélange entre un rayon de soleil d'hiver, de la menthe poivrée et une bougie qu'on vient d'allumer. La proximité physique avec le garçon ne réveillait rien en lui, ni dégoût profond ni désir soudain. Il fixait le bout de ses pieds en évitant les regards de la tapisserie.

À présent, il nous faut décrire cette tapisserie. C'est l'élément déclencheur de ce qui suit, et ce qui suit est l'élément déclencheur de tout le reste. C'était une immense tapisserie, qui cachait tout un mur sur plusieurs dizaine de mètres. Il en existait deux copies – ce que Remus, bien sûr, ignorait – la première dans ce couloir, et la deuxième dans un autre manoir, dans la banlieue d'une autre Ville, au milieu d'un autre champ, mais appartenant également à la famille Black. Les fils entrelacés représentaient un immense arbre généalogique sur les branches duquel étaient brodés des centaines de visages. Les premiers, que Remus pouvait à peine discerner puisqu'ils étaient à l'autre bout du couloir, étaient usés et pâles, et le passage des ans et des mains sur le tissu en avait flouté les traits. Les plus récents, ceux devant lesquels Regulus et lui étaient agenouillés, étaient nets et délicats, les yeux bleus de chacun semblant vouloir trouer le tissu. Remus y reconnut les trois filles qu'il avait vu dans le salon, et leurs trois noms : « Andromeda, Bellatrix et Narcissa Black ». Leurs visages se tenaient sur la même branche de l'arbre. Elles étaient sœurs.

En suivant les feuilles et les visages qu'il ne connaissait pas, il finit par croiser le regard familier de Regulus, une version de lui plus jeune, datant de l'époque où on l'y avait brodé, mais au visage tout aussi mélancolique. Ce n'était pas cependant ce qui avait attiré l'œil de Remus, ni ce qui déclencherait la suite des évènements.

Car le plus étrange n'était pas ce qui était là, mais bien ce qui manquait : à côté du visage figé de Regulus, sur la même branche famélique qui se tendait difficilement vers l'angle du couloir, il n'y avait rien. Pas de frère. Pas de sœur.

En réalité, il n'y avait pas même de tissu.

Aux côté du visage brodé de Regulus, il y avait un trou. Un trou dans la tapisserie au travers duquel se dévoilait un pan entier du mur. Les bords en étaient noircis, brûlés, on pouvait discerner le début d'un nom, le bout d'un nez. Il y avait dans ce trou quelque chose de violent, une agressivité sans fin, une guerre qui prenait place juste devant les yeux de quiconque passait. On avait effacé ce nom avec toute l'ardeur de la douleur, arraché un pan entier du mur à mains nus. Le visage avait été brûlé, le nom griffé, ensanglanté, couvert de honte, mais il y avait dans ce trou, dans ce vide, quelque chose de rieur, de malicieux, d'outrageusement optimiste, un pied-de-nez sans vulgarité, le salut de quelqu'un qu'on ne parvient pas à faire taire pour longtemps.

Remus ne posa pas de question. Il se contenta de fixer pendant un long moment le pan de mur blanc et froid qu'il apercevait, de perdre ses yeux au fin fond de ce visage disparu qui semblait flotter dans l'air, aux coins de sa vision, de telle sorte qu'il ne puisse jamais réellement le voir. Il pensa à Grant, encore, mais ne parla pas de lui. Il passa un bras autour des épaules de Regulus. Le trou dans la tapisserie riait, mais dans le grand manoir Black, vide de vie, abandonné, couvert par les mauvaises herbes et les mauvais augures, tout le monde retenait ses larmes.

the lovers. [WOLFSTAR AU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant