Jour 5 • Des os de métal

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Univers : Ephémérides Astrales
Personnages : Clarence Hancock/Eireann O'Brian

Univers : Ephémérides AstralesPersonnages : Clarence Hancock/Eireann O'Brian

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— Appuyez votre index contre votre pouce ? Bien... Votre majeur maintenant.

Un doigt après l'autre, je m'exécute, le regard rivé sur ces phalanges artificielles. Grise, elle ressemble cependant parfaitement à des doigts. La prothèse respecte la physionomie, la forme des muscles. La sensation, toutefois, est étrange. Si je sens chacun des contacts, je suis dépossédée de quelque chose de plus essentiel. De quelque chose de purement organique. Le toucher de la peau est inexistant, je ne ressens ni la chaleur, ni la fraîcheur. Il manque quelque chose, et ça me perturbe.

— On pourra mettre une peau biosynthétique, si vous le souhaitez. Elle imite parfaitement...

— ... l'aspect originel de ma peau, comme 98% du reste de mon corps, c'est ça que vous voulez me dire, Clarence ?

J'ai été un peu plus sèche que prévu. Je subis l'influence passive de Maureen, toujours aussi en colère. Je soupire et m'excuse du bout des lèvres. Toujours aussi patient et compatissant, Clarence me sourit et pose une main paternelle sur mon épaule. Là aussi, le contact a changé. Rien n'est immuable. Je relève la tête pour observer l'extérieur de la baie médicale. De l'autre côté de la vitre, je vois les soldats s'affairer. Ils discutent, rient parfois. DaeHyun, quand il passe, leur offre toujours un mot encourageant. Parfois, je capte son regard... mais lui ne me voit pas. Il ne me voit plus comme avant.

Je suis réduite, amoindrie. Plus personne ne me regarde comme je l'étais avant. Et pourtant, chaque semaine, c'est la même rengaine ; je dois contrôler que mon bras est assimilé, que mon corps ne va pas le rejeter, que tout se passe bien. Mais DaeHyun, depuis notre incartade sur le sofa, ne me regarde plus comme avant. Et si je veux que l'on me considère comme avant, si je ne veux plus être vue comme une faible, une moins que rien ou un danger, je dois me ressaisir. Et je dois me réapproprier ce vaisseau dans lequel je me sens si étrangère.

Et par vaisseau, j'entends mon corps, pas la carlingue de métal autour de nous. Clarence m'interpelle et m'explique, encore, les exercices que je devrais faire. Je regarde ce bras de métal, cette cheville bionique, et je réalise à quel point tout mon être a été modifié. Tout a été changé pour permettre à ma carcasse de survivre. Pire qu'une bagnole après un crash test.

— Je ne suis plus que des os de métal, n'est-ce pas ?

Clarence s'arrête dans son explication, surpris par ma remarque, et tire un tabouret jusque devant le lit où je suis assise. Il s'y installe et m'observe, avec attention.

— Connaissez-vous l'expérience du bateau de Thésée ?
— Ça ne me dit rien...

Il esquisse un sourire et m'explique pendant que je me prête à l'exercice. J'imagine un bateau, dont toutes les parties sont remplacées progressivement. Au bout d'un moment, le bateau ne contient plus rien de ses parties d'origine. La question qui se pose est donc de savoir s'il s'agit du même bateau ou d'un autre. Je fronce les sourcils, alors qu'un léger mal de crâne m'envahit.

— Vous vous définissez à ces os de métal qui sont vôtres, désormais et vous pensez être différente. Ne plus être Eireann O'Brian. Mais, qu'est-ce qui qualifie Eireann O'Brian ? Est-ce que ce changement de corps, de matière change votre identité ? Est-ce que votre identité aurait été la même si vous aviez gardé exactement la même apparence ? Peut-être que oui. Mais pour rester d'origine, si je puis dire, il aurait fallu vous garder enfermée dans une pièce, avec suffisamment d'apport de lumière, de nourriture et de stimulation pour vous entretenir. Or, ces os de métal, ces implants, pour moi, sont les témoins de vos aventures.

Il pose une main sur mon genou, qu'il tapote. Je vois où il veut en venir et je lui souris, avec gratitude.

— Je reste la même, sans l'être réellement, soufflé-je.
— Embrassez votre passé, acceptez votre présent et déroulez votre avenir, capitaine. Vous serez toujours Eireann O'Brian, mais la vie fera toujours que vous changerez, d'une façon ou d'une autre.

Mon cœur se gonfle d'émotion et une boule se bloque dans ma gorge. Du bout des lèvres, je le remercie. Ce corps qui m'est étranger reste le mien. J'ai changé, je ne suis plus pareille à avant, mais je suis la preuve vivante de ce que l'on a vécu, même si je ne m'en rappelle pas.

— J'aimerai me faire tatouer.

Il éclate de rire. Mais comprends ma démarche. Enfin je crois ?

Howktober 2022 • 31 jours, 31 textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant