La première chose que j'ai faite, le lendemain matin, ça a été de regarder mon téléphone. Mon optimisme a vite laissé place à la déception. Je n'avais aucun message en attente. Je me suis morigénée d'avoir espéré que tu penserais à moi, que je te manquerais, que tu me contacterais. Quelle idiote j'étais ! Tu avais ta vie, sans doute bien remplie. Je n'osais pas l'imaginer. Ou plutôt, je ne me la représentais que trop bien : un joli petit pavillon à la campagne, une femme et des enfants. Le bonheur parfait pour l'homme parfait que tu étais. Je me souviens m'être dit que la vie était cruelle. Elle m'avait fait croiser ta route afin de me permettre de visualiser tout ce que je ratais, ce à côté de quoi je passais. Mais je devais me rendre à l'évidence : un homme tel que toi n'aurait jamais pu s'intéresser à une fille comme moi. Les signes que j'avais cru percevoir la veille n'étaient dus qu'à ma fatigue et à mon état nerveux. J'avais pris mes rêves pour la réalité. Tu n'étais qu'une personne bienveillante, et c'était rassurant de constater que ça existait encore, de nos jours.
Je suis partie travailler l'âme en peine alors que le jour se levait tout juste. J'ai retrouvé ma routine habituelle en même temps que mon sourire. Les clients fidèles, ceux qui étaient pressés, craignant d'arriver en retard au bureau, les retraités, qui venaient tout de même à l'ouverture... ils étaient tous là. D'un point de vue externe, rien n'avait changé. Au fond de mon cœur, tout était différent. Mais c'était un secret que je ne révélerais à personne et que je dissimulais sous une épaisse couche d'amabilité.
Celui que mes collègues appelaient « le beau gosse » est entré dans la boutique. C'était un jeune homme qui devait avoir entre 25 et 30 ans, avec des boucles brunes, des yeux noirs, une peau mate, une barbe plus ou moins longue et des cernes plus ou moins prononcés selon les jours. C'était un interne de l'hôpital d'origine algérienne. Il venait souvent quand il sortait de garde. Je savais qu'il m'aimait bien. Il n'était pas très discret et attendait toujours pour que ce soit moi qui le serve. Nous échangions un regard, un sourire. Il passait commande, me payait, me souhaitait une bonne journée et disparaissait jusqu'à la fois suivante. On ignorait quand. Tout dépendait de son planning. Plusieurs filles m'avaient conseillé de l'inviter à boire un verre, un soir, mais pour une raison inconnue, je n'avais jamais osé franchir le pas. Désormais, je comprenais. Face à lui, je ne ressentais pas ce petit quelque chose qui faisait battre mon cœur plus vite. C'était un bel homme, certes, et sans doute était-il gentil, mais je n'éprouvais pas le besoin d'apprendre à le connaître. À la différence de toi, mon sauveur de la veille.
Que je devais oublier.
Que je n'arrivais pas à oublier.
À l'heure de ma pause, j'ai sorti mon portable de mon sac. En remarquant que j'avais des messages en attente, mon cœur a effectué un triple salto dans ma poitrine. Les doigts tremblants, à la fois d'impatience et de peur à l'idée de ce que j'allais découvrir, j'ai ouvert l'application. J'ai vite déchanté. Je ne connaissais pas mon correspondant.
Numéro inconnu : Bonjour. J'ai retrouvé un portefeuille et plusieurs cartes de visite sur lesquelles était inscrit ce numéro.
Numéro inconnu : Merci de bien vouloir me donner votre nom afin que je vérifie qu'il s'agit du même que sur les papiers d'identité.
Chloé : Bonjour, je m'appelle Chloé Lefabre. On m'a effectivement volé mon portefeuille hier.
Je me suis rongé les sangs pendant de longues minutes avant de recevoir une réponse.
Numéro inconnu : C'est bien vous. Quand pouvez-vous venir le récupérer ?
Chloé : Cet après-midi ?
Numéro inconnu : OK. J'habite en Allemagne.
Je me suis retenue de lui dire que je m'en doutais. Nous avons échangé plusieurs messages supplémentaires, jusqu'à ce que j'apprenne qu'il ne parlait pas français et qu'il utilisait un traducteur en ligne pour m'écrire. Il m'a donné son adresse et je lui ai promis que je passerais dans la journée. J'ai ensuite demandé à mes collègues si l'une d'elles était disponible pour m'accompagner, mais toutes avaient déjà des choses de prévues. Dépitée, j'ai réfléchi jusqu'à la fin de mon service. Ce n'est qu'une fois dans ma voiture qu'une alternative m'est apparue comme par enchantement. C'était peut-être culoté de ma part, mais c'était la dernière option qu'il me restait. Ça, ou me rendre seule chez un homme que je ne connaissais pas et qui ne parlait pas la même langue que moi. Auquel cas, il faudrait que je prévienne quelqu'un, si jamais il m'arrivait quelque chose de fâcheux et que je ne donne plus de signe de vie. J'ai secoué la tête pour chasser ces horribles pensées et ai trouvé le courage de composer ton numéro. Tu as décroché à la troisième sonnerie.
— Allô ?
— Bonjour... C'est Chloé... Vous savez... on s'est rencontrés hier...
— Chloé la vendeuse en boulangerie, alias la fille qui a crevé et qui s'est fait voler son portefeuille, as-tu plaisanté. Je crois me souvenir de vous, en effet...
J'ai compris que tu te moquais de moi, mais ça m'a soulagée que tu ne m'aies pas déjà oubliée.
— Je suis désolée de vous déranger, mais je n'ai pas trouvé d'autre solution, alors je...
— Comment puis-je vous aider ? m'as-tu interrompue.
Je t'ai remercié mentalement. Tu semblais si serein, à la différence de moi, qui étais on ne peut plus stressée.
— Vous êtes occupé, cet après-midi ?
— Ça dépend... Qu'est-ce que vous proposez ?
Mon audace me surprenait, mais pas autant que ta bienveillance. Alors je t'ai tout raconté.
— Un type m'a contactée, ce matin. Un Allemand. Il a retrouvé mon portefeuille et je dois me rendre chez lui tout à l'heure pour le récupérer. Le problème, c'est qu'il ne parle pas plus français que moi allemand et puis... je dois avouer que j'ai un peu peur d'y aller seule, mais personne de mon entourage n'est disponible pour m'accompagner...
Ta réponse ne s'est pas fait attendre.
— Je vais venir avec vous.
Mon soulagement a été immédiat.
— Merci beaucoup, ai-je soufflé en fermant les yeux.
— Rendez-vous dans une heure, sur le parking de Carrefour, à l'Île Napoléon.
— Euh... d'accord, oui. Où, exactement ?
À ma décharge, ce parking était immense. On aurait très bien pu ne jamais nous retrouver.
— On n'a qu'à dire en face du Burger King.
— Très bien. À tout à l'heure.
J'en ai profité pour apporter mon pneu crevé dans un garage et réserver un créneau afin qu'on me pose le nouveau, la semaine suivante. Puis je suis rentrée chez moi pour prendre une douche rapide et me changer. Tant qu'à faire, autant me pomponner un peu. Ce n'était pas très difficile de m'arranger mieux que la veille. J'ai enfilé un jean, ma tenue favorite, que j'ai assorti à un joli petit haut, et j'ai attaché mes cheveux en demi-queue, les laissant pendre librement dans mon dos. Une touche de mascara et de rouge à lèvres plus tard, je démarrais en direction de nos retrouvailles.
***
Héhé... Toutes les excuses sont bonnes pour revoir Frédéric 😉
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Les pages de notre histoire [PUBLIÉ LE 7 AVRIL 2023]
RomanceChloé rencontre Frédéric lors du pire jour de sa vie. Entre eux, l'alchimie est immédiate, d'autant qu'un concours de circonstances les oblige à se revoir dès le lendemain. La jeune femme n'a alors plus aucun doute : malgré leur différence d'âge, Fr...