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Nous nous sommes rejoints devant le portillon avant de marcher jusqu'à l'entrée, côte à côte. C'est toi qui as sonné. Ton flegme m'a impressionnée. Mais j'étais encore loin de me douter de ce qui m'attendait. Un vieux monsieur avec une barbe blanche nous a ouvert. Tu t'es alors mis à lui parler dans un allemand impeccable, sous mon regard éberlué. Tu t'étais bien gardé de me dire que tu étais parfaitement bilingue. Peut-être même trilingue ou plus, pour ce que j'en savais. Je suis sortie de mes pensées quand l'homme, prénommé Markus, nous a invités à entrer. Je n'étais pas très rassurée, mais ta main effleurant mon dos m'a tranquillisée. J'étais convaincue que, tant que tu serais à mes côtés, tout irait bien. Vous vous êtes mis à converser comme si vous vous connaissiez depuis toujours. Puis tu as semblé te souvenir de ma présence et tu m'as révélé la teneur de votre discussion.

— Markus est un policier à la retraite. Quand il a trouvé votre portefeuille dans une poubelle, hier soir, ses vieux réflexes sont revenus. Il dit qu'il n'y a plus d'argent à l'intérieur.

— Je suppose qu'ils ont pris ma carte bleue aussi.

Tu as confirmé, en rajoutant que puisque j'avais fait opposition, je ne risquais plus rien. La bonne nouvelle, c'était que je n'avais pas besoin de faire renouveler mes papiers. Quel gain de temps et d'énergie !

Danke, Markus.

C'était à peu près le seul mot que je connaissais dans la langue de Goethe. Avec « bonjour », « au revoir » et, évidemment, « je t'aime ». Mais je réservais ces derniers à celui qui réussirait à dérober mon cœur. Serais-tu celui-là ? Je l'ignorais encore.

Après que Markus m'a rendu mon bien et que j'ai vérifié qu'il ne manquait rien d'autre, nous avons pris congé. J'étais fière d'avoir pu caser mon « Auf Wiedersehen », sous ton regard amusé.

Nous sommes remontés en voiture et, comme Markus restait sur le pas de la porte pour nous saluer, nous avons été contraints de démarrer sans attendre. Je me demandais ce qui allait se passer, désormais. Le trajet retour durerait quarante minutes tout au plus. Et après ?

À un feu rouge, tu t'es tourné vers moi. Tu semblais très sérieux, tout à coup. Ton petit sourire en coin, celui que tu arborais depuis la veille, avait disparu.

— Vous êtes pressée de rentrer ?

J'ai joué la carte de la franchise.

— Pas plus que ça.

— Ça vous dit qu'on aille boire un verre quelque part ?

— Euh... oui, pourquoi pas ? Personne ne vous attend ?

Ma question sous-entendait bien plus que les mots que j'employais, mais je n'avais pas osé utiliser ceux que je redoutais. J'espérais que tu lirais entre les lignes.

— Personne, non. Je suis libre comme l'air.

J'en ai donc conclu que tu étais célibataire, d'autant qu'au cours de l'après-midi j'avais pris soin de vérifier que tu ne portais pas d'alliance. Cette information m'a réjouie.

— Dans ce cas, allons-y !

Tu t'es engagé en direction du centre-ville et nous avons stationné la voiture sur le premier parking que nous avons trouvé. Cette sortie avait un petit goût d'aventure qui ne me déplaisait pas. J'étais dans une ville étrangère en compagnie d'un presque inconnu et pourtant, je n'avais jamais été aussi heureuse. Tout à coup, un sourire s'est épanoui sur ton visage, le faisant rayonner.

— Vous aimez la glace ?

— Bien sûr, quelle question !

— Dans ce cas, venez !

Les pages de notre histoire [PUBLIÉ LE 7 AVRIL 2023]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant