Chapitre 25 : Quelque part vers la Fin

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     Un sourire mauvais se dessine sur mes lèvres tandis que ma main enserre son cou.

    — Alors, comment te sens-tu ?

    Sous mes doigts, je sens ses vertèbres se disloquer une à une, comme un sentiment de jouissance et de puissance s'empare de mon être. Pourtant, loin de l'impressionner, je vois sa figure s'éclairer d'une joie mauvaise. À la place, mon poing vole de nouveau vers son visage et lui arrache ce qu'il reste de sa mâchoire. Gueule cassée, gueule défoncée, ses yeux me fixent, moqueurs tandis que sa langue s'agite en tout sens. D'un geste sec, je plonge ma main dans sa gorge, avant de m'en saisir.

    — Encore un seul mot de ta part et je la transforme en cravate ! grondé-je, blême de rage ; j'aperçois toujours la tête d'Armand qui voltige au travers de la pièce, son corps désarticulé qui choit par terre.

    L'instant d'après, un morceau de chair vole dans les airs, un autre, puis encore un autre. Aveuglée par la colère, par la haine, je le dépèce.

    — N'en as-tu pas assez ? ricane-t-il, comme il ne demeure plus que de lui qu'un tronc surmonté d'une tête.

    Mon talon dans l'estomac le fait taire d'un coup, alors qu'une tache écarlate se forme sur son torse.

    — Navré, mon pied a dérapé et je crains de ne t'avoir déchiré l'abdomen.

    Pourtant, il ne se départit pas de son sourire que je devine à ses yeux. Mon poing vole de nouveau vers sa figure. Mes griffes ne sont qu'à quelques centimètres de sa chair. Hélas, je ne peux l'atteindre ; quelqu'un me retient.

    — Il suffit, Abélia ! murmure une voix dans mon dos. Tel n'est point ton rôle de la bannir ; il en revient au Bretteur.

    Lentement, je tourne la tête et découvre un être baigné de lumière. Malgré la clarté aveuglante qui se dégage de lui, je devine les traits de Hiérominus, déformé par la fureur. Les mains jointes, il les écarte, comme jaillit de sa senestre une immense flamberge incandescente.

    — La reconnais-tu, Vassago ? susurre mon compagnon, dont la colère sourde au fond de ses prunelles.

    Les yeux de mon bourreau s'agrandissent de terreur. Il veut crier, hurler, mais de sa gorge ne sort qu'un infâme gargouillis, comme il se penche sur lui et l'attrape par son catogan.

    — Je suis le Bretteur, Vassago, et à ce titre je vais mettre un terme à ton règne !

Exorcizamus te omnis immundus spiritus,

Omnis satanica potestas, omnis incursio,

Infernalis adversarii, omnis legio,

Omnis congregatio et secta diabolica.

    Pendant un instant, il ne se passe rien, puis le corps se met à siffler, fumer jusqu'à n'être plus qu'un minuscule tas de cendres. À côté de moi, Hiérominus, mais sans doute serait-il plus juste de l'appeler Lucifer, ne bouge pas ; la main sur la garde de l'épée. Mais alors qu'il s'apprête à la retirer, elle tremble violemment, avant de s'effondrer sur le sol inanimé. De justesse, je le rattrape, puis l'allonge auprès de moi, sa tête sur mes cuisses.

    — Hé ! Oh ! Moi aussi j'aimerai qu'on me fasse des papouilles ! s'écrie soudain une voix que je ne reconnais que trop.

    — Armand ! m'exclamé-je, si surprise, que je faillis en laisser choir Lucifer.

    — Ben oui ! Qui veux-tu que ce soit d'autre, ma belle ! Hélas, Ophélia est dans les choux, elle aussi et je n'ai pour moi que ma tête pour me déplacer. Tu voudrais pas venir nous attraper, histoire qu'on partage un peu ce moment de paix bien mérité. Il me semble bien que tout soit fini, ou est-ce que je me trompe ?

    Je contemple un instant la minuscule colline de chair calcinée. Vassago ne reviendra plus jamais, j'en ai la certitude. Hélas, je puis en dire autant de mon ami, dont la respiration devient fébrile.

    — Non, il ne reviendra pas, murmuré-je d'une voix éteinte.

    — Pardonne-moi, Hiérominus, ajouté-je, comme je me lève pour m'en aller quérir auprès de mes compagnons d'infortune.

     Cependant, je n'ai pas fait plus de quelques pas que quelqu'un m'interpelle.

    — Voilà qui n'est guère charitable de ta part, Abélia. J'étais bien allongé sur tes cuisses. J'ajouterai même qu'elles étaient fort douces et confortables.

    J'ignore si en cet instant je dois rire ou pleurer, ou plutôt distribuer une volée de baffes à ces messieurs.

    — Parle pour toi, Lucifer ! renchérit Armand. Et ne mens pas ! Aucun ange ni aucune créature de ton espèce ne possède une aura aussi aveuglante. En revanche, je crains que ta réputation n'en pâtisse à présent. N'as-tu point honte ? Brandir l'épée de ce pauvre Michel ! Remarque, tu la manies avec bien plus d'adresse et de classe que lui ; la dernière fois que je l'ai vu l'utiliser, il a failli décapiter Gabriel. En plus de ça, tu récites un exorcisme. Mais où va-t-on, s'il n'y a pas plus d'anges ou de démons ?

    — Et pourquoi pas ? Tu l'as parfaitement deviné, je suis fatigué de toute cette vie de garde-chiourme, alors je suis parti et j'ai fermé les portes derrière moi. Enfin, je le croyais.

    À les entendre, j'en viens à penser que tous les mâles, marionnettes ou créatures infernales, seront toujours les mêmes.

    — Pardon d'interrompre votre viril échange ! Toutefois, ils sont quelques points, sur lesquels nous devrions nous pencher, lancé-je évasive, Ophélia, encore plus blanche qu'un morceau d'aspirile, dans les bras.

    — Ah ! Euh... me répondent-ils de concert.

    — Tout d'abord, Armand, dois-je te rappeler que tu as presque perdu la tête. Ensuite, ta fiancée est évanouie et elle ne serait pas ravie d'avoir seulement ton visage pour seule compagnie.

    — Ma foi, c'est vrai qu'il manque la meilleure partie de ma personne ! s'esclaffe-t-il.

    — Vantard ! lui jette Lucifer, comme il se relève.

    Dans mes bras, Ophélia remue faiblement.

    — Armand ! murmure-t-elle.

    Penché sur elle, Lucifer la contemple d'un air inquiet.

    — Abélia, possèdes-tu encore la plume qu'elle t'a confiée ?

    Surprise, je le fixe un instant, avant de me souvenir. Froissée, presque déchirée, je la lui tends.

    — Que vas-tu faire ?

    En face de moi, le prince des enfers esquisse un sourire bienveillant, puis s'en saisit. Penché sur moi, il et dépose un baiser sur mes lèvres avant que je n'aie pu me soustraire.

    — Jouer le dernier acte de cette mauvaise farce, bien sûr.

L'Orgue du DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant