Programme Marylou

Chapitre I

Le 10 janvier 2023

Le capitaine Ice ouvre la marche. À l'arrière, son équipe composée de quatre autres soldats, armés jusqu'aux dents, le talonne. Ils portent tous des masques , qui leur envoie de l'oxygène car depuis l'impact, l'air n'est plus respirable. Ils avancent en silence dans ce corridor sombre, d'une démarche féline, grâce à leurs lunettes à vision nocturne. Le sol est poussiéreux, les traces des rangers augmentent au fur et à mesure.
Le capitaine Ice, n'a pas le droit à l'erreur. Il se souvient des dernières paroles du colonel.
- Soldat, revenez avec le programme ou ne revenez pas. Il est d'une importance capitale pour la survie de l'espèce humaine.
Le colonel Vlanzky a choisi son meilleur homme pour cette mission. Ce n'est pas pour rien que le capitaine porte l'indicatif « Ice » car cet homme est de glace.
Rien ne l'arrête, rien ne le déconcentre, rien ne l'atteint. Jamais !
Aucun échec dans son dossier. Et en plus de son caractère en acier trempé , il a le physique qui va avec. Très grand , un mètre quatre vingt-dix , brun, les cheveux courts mais pas rasés, les yeux bleus marine, une musculature à faire pâlir Apollon en personne. Il se dégage de lui un charisme animal.
Mais, sous cette carapace, se trouve Charlie Tosca. Un homme tourmenté. Né de mère inconnue et d'un père qui ne s'est jamais manifesté, il est mis en pouponnière à la naissance. Puis il passe de famille d'accueil , en foyer , jusqu'à ses 18 ans . A l'obtention de son baccalauréat , il se voit remettre un chèque  par l'aide sociale à l'enfance et se voit congédier du foyer car majeur . Il entre alors dans l'armée et est très vite remarqué pour sa force de caractère. Rapidement, il dirige une équipe dans les forces spéciales. Il a 21 ans lorsque la météorite tombe.
Le capitaine Ice, regarde sa mini tablette, qui lui montre le chemin jusqu'au signal. Il indique d'un signe de la main à ses coéquipiers, qu'ils doivent tourner à droite. Au bout de cinq minutes, et une fois arrivé devant une porte blindée ressemblant à l'entrée d'un coffre-fort, le point lumineux clignote sur l'écran. L'adjudant Apache, en réponse à un hochement de tête du capitaine, tourne l'écoutille et tire avec l'aide de ses compères la lourde porte blindée du bunker qui s'ouvre dans un grincement aigu.
Ice entre le premier, arme en joue, observe, puis fait l'état des lieux rapidement mais efficacement. Il autorise ensuite les autres à entrer.
Derrière eux la porte se referme et le groupe électrogène se met en marche. Le capitaine retire ses lunettes ainsi que son masque, imités par ses gars , car bizarrement sa tablette indique que l'air dans cet abri est respirable.
À l'intérieur, ils découvrent dans un coin, un ordinateur portable posé sur un bureau et dans un autre, deux lits superposés encadrant l'entrée d'une salle d'eau. À l'opposé, une porte donnant sur un cagibi rempli de denrées alimentaires non périssables et de bouteilles d'eau.
Ce qui se trouve au milieu de cette pièce est impressionnant : deux caissons identiques, reliés à deux moniteurs qui indiquent la saturation, la tension et le rythme cardiaque des deux personnes qui y sont enfermées.
Avant de toucher quoi que ce soit, Ice a également pour ordre de récupérer toute information utile. Pendant que ses hommes montent la garde, le capitaine s'installe au bureau, allume l'ordinateur, surpris qu'il fonctionne encore.
Sur la page d'accueil, il découvre un seul dossier intitulé « journal de bord ». Il clique dessus et ouvre le document ; c'est une vidéo. Le capitaine lève un sourcil et appuie sur « play ».
Une belle femme aux yeux verts apparaît. Elle regarde la caméra si intensément, qu'il a l'impression que c'est lui qu'elle regarde. Elle commence à parler, sa voix est éraillée par l'émotion. Ice se surprend à la trouver jolie, à observer ses lèvres bien dessinées et pulpeuses. Elle est encore plus belle que sur la photo accrochée à son dossier. Brune les cheveux au carré, les yeux émeraude, les pommettes hautes, elle est vraiment superbe. Il se concentre sur ses paroles car il est impératif que rien ne lui échappe. À la fin du message, il éteint l'appareil, le débranche et le met dans son sac à dos, pensant que le programme est à l'intérieur. À ce sujet, le colonel n'a pas été très éloquent. Il a pour ordre de récupérer un maximum d'informations ainsi que les personnes vivantes qui se trouveraient dans ce bunker.
Il s'approche de la première cuve avec le génie de l'équipe, celle où le moniteur n'indique aucun signe de vie. L'adjudant Scientist dépressurise et le couvercle s'ouvre. Un homme, d'une cinquantaine d'années, brun aux tempes argentées, les mains posées l'une sur l'autre sur sa poitrine,  revêtu d'une blouse blanche,  repose à l'intérieur.
- C'est le professeur Marcus Angélus, indique cérémonieusement Scientist.
Ce dernier, scientifique lui-même, a beaucoup de respect pour le professeur.
- Oui. Mais il est mort, lance Ice d'une voix blanche.
Le capitaine est à présent près du deuxième "cercueil de cristallisation". Le moniteur indique un rythme cardiaque lent mais présent. Avant d'appuyer, surpris par son hésitation, il se remémore les derniers mots de cette femme :  « si mon père est mort, ne me réveillez pas ! » mais Ice a une mission à accomplir. Il enclenche son réveil.
Marylou apparaît.
Savage, censé normalement garder la porte sous surveillance avec Dancer et Apache, regarde par-dessus son épaule et comme à son habitude agit par impulsion et quitte son poste.
- Elle est canon ! Déclare celui-ci sous le regard acéré de son capitaine.
- Savage, tu n'es pas censé nous couvrir ? Demande Ice d'une voix glaciale.
- Si, mon capitaine ! Mais je ne pense pas que les gros insectes à la surface soit intéressés par...
Savage ne termine pas sa phrase, arrêté par le regard imperturbable et dangereux de son chef. Il retourne au côté de ses collègues. Scientist observe le rythme cardiaque s'accélérer sur le moniteur, témoin que Marylou se réveille. Avant de se lever, elle vérifie que son corps est en état de marche, en étirant les bras, tel un chaton après une bonne sieste. Ce faisant, son débardeur noir se soulève, découvrant son ventre plat légèrement musclé, ce qui n'échappe pas au capitaine malgré toute sa détermination à ne pas la regarder. Elle ouvre les yeux, se dit qu'elle a bien dormi, mais s'aperçoit très vite qu'elle n'est pas seule. La jeune femme se lève d'un bond et se retrouve adroitement sur ses deux pieds. Sur la défensive, elle se rappelle ses cours d'autodéfense et prend la position, jambe d'appui devant, l'autre derrière, les poings levés devant son visage.
- Qui êtes-vous ? Demande-t-elle.
- Je suis le capitaine Ice et voici mon équipe.
Les premiers adjectifs qui viennent à Marylou devant Monsieur muscle, sont : sexy et dangereux. Mais elle se dit également que ce n'est pas avec ses poings qu'elle  viendra à bout de ces cinq gaillards .
- Et vous êtes ici pour quelle raison ?
- Avant l'impact, des personnes ont eu la même idée que vous on s'enfermant dans des bunkers. Le gouvernement a également mis à l'abri des gens qu'il jugeait important, comme des politiciens, des militaires, des médecins etc... tous cohabitent désormais dans ce que nous appelons « New Home ». Cet endroit se trouve dans une ancienne base militaire, située à 5000 m en dessous de la surface. C'est un gigantesque abri antiatomique. Et notre mission est de ramener à cet endroit tous les survivants, madame.
C'est à ce moment que Marylou réalise et que tout lui revient en mémoire.
- L'impact...mon père !
Elle pousse Ice et se précipite vers la cuve de son père. Arrivée devant, elle le secoue par les épaules
- Papa ! Réveille-toi ! Je t'en supplie , sa voix se casse et ses larmes coulent . Elle respire à fond et envahie par le chagrin se rue sur Ice .
- Vous!
Le capitaine fait signe à ses hommes de ne pas intervenir. Mais elle le surprend en l'attrapant par le col, parvenant même à le faire reculer de deux pas. Cette fille est vraiment spéciale.
- Avez-vous regardé mon journal de bord ! Demande-t-elle avec hargne.
- Oui, lui dit-il froidement.
Ice est très impressionné par sa force de caractère et comprend sa détresse, mais personne ne doit le percevoir.
- Alors pourquoi m'avoir réveillé ?
- J'ai pour mission de ramener à la base tout survivant, madame, lui répond-il  tel un automate.
Elle le relâche. Mais avant de retourner auprès de son père, le fusille du regard.
Marylou pose la main sur la joue glacée de son père et marmonne avec rage.
- Ce n'est pas fini !
Elle déchire la blouse et la chemise de son père, prends le tube de gel et le déverse sur sa poitrine. Puis, elle allume le défibrillateur. Équipé d'une palette dans chaque main, elle commence la réanimation, ses gestes sont automatiques et précis.
- Chargé ! Un, deux, trois. On recule!
Premier électrochoc. Aucun changement sur le moniteur.
- Tu n'as pas le droit de me laisser papa ! Ampoule d'adrénaline! ordonne-t-elle en tendant une main.
Scientist devant la détermination de cette femme et avec l'approbation de son capitaine, lui donne l'injection qui se trouve sur le plateau. Marylou désespérée, débouchonne avec ses dents l'étui de la seringue et injecte le produit. Elle observe le moniteur. Toujours rien.
- Chargé. Un, deux, trois. On dégage !
Deuxième électrochoc. L'écran est toujours plat.
Marylou comprend alors et s'écroule de chagrin sur le corps sans vie de son père.
- Il est mort depuis longtemps, madame, affirme Ice.
Au bout d'un certain temps, la jeune femme se relève, embrasse son père sur le front et referme la cuve, tout en s'évertuant à arrêter ses pleurs et à garder le contrôle. Silencieusement, elle se fait la promesse de revenir le voir. Les deux mains sur le cercueil, tête baissée, les cinq soldats la regardent.
La voix enrouée, Marylou demande.
-  Combien de temps s'est écoulé depuis l'impact ?
- Dix ans, madame, répond Scientist. Sachez que j'admire votre père, ses recherches sur l'ADN sont prodigieuses.
- Dix ans, répète-t-elle comme pour s'en convaincre.
- Nous devons y aller, madame, lance Ice.
- Il n'y a plus rien à la surface , n'est-ce pas ? C'est plus une supposition qu'une question . Marylou prend sa veste posée sur la chaise du bureau , ainsi que son sac à dos quelle avait déjà préparé il y a dix ans en prévisions de ce jour .
- Prenez ce masque, l'air n'est pas respirable et ses lunettes aussi, lui conseille Scientist tout en plaçant dans son sac une petite bouteille d'oxygène.
- Je peux savoir pourquoi vous êtes autant armé ?
- La surface est dangereuse madame, réponds Ice.
- Pourquoi ?
Le capitaine hausse un sourcil.
- J'ai le droit de savoir !
- En effet madame, reprend Scientist. L'impact de l'astéroïde a provoqué une onde de choc qui a tout dévasté, la faune, la flore, la population. Tout a explosé y compris les usines nucléaires parsemées dans le monde entier, provoquant ainsi de multiples explosions atomiques. Mais quelques espèces ont survécu et ont  muté à cause des radiations.
- Quelles espèces ?
- Les scorpions et les fourmis. Ils sont gigantesques et peuplent la terre.
- Mais si nous sortons, nous serons irradiés également.
- Pas dans cette partie du territoire, madame. Mais par sûreté, nous nous décontaminerons en arrivant à la base.
Marylou, résignée et surtout seule au monde, met  son masque, ses lunettes et accepte de les suivre.
Apache et Savage  ouvrent la porte. Dancer est devant, arme en joue. Marylou se tient juste derrière, escorté par Ice qui lui tient le bras et Scientist ferme la marche. Au contact du capitaine, même s'ils ne sont pas peau contre peau, Marylou ressent comme une agréable chaleur se propager, s'intensifiant dans le creux de ses reins. Elle regarde Ice qui n'affiche aucune émotion particulière. En même temps, avec ses lunettes et son masque, pas facile de distinguer quoi que ce soit. Submergée par la perte de son père, elle met cette sensation sur le compte du chagrin.
Ice a longtemps hésité avant de lui tenir le bras. L'hésitation n'a jamais fait partie de son vocabulaire. Et ça fait deux fois que ça lui arrive pourtant, en moins d'une heure. Étrange. Mais le plus étrange, c'est ce qu'il ressent en la tenant. A son contact, il n'a qu'une envie, la protéger et voir bien plus. Qui a dit qu'il n'y avait rien sous cette carapace !
Ils marchent longtemps dans des tunnels crasseux et sombres. Alors que Marylou se demande jusqu'où ils vont aller comme cela, ils arrivent devant une jeep tout terrain, à la carrosserie blindée, complètement équipée pour le combat.