Le Chuchoteur

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Conte Baronnien, Ere d'Emergence

Lorsque tombe la nuit et brille la pleine Lune au firmament, vient l'heure des démons. Lorsque dorment les mortels et rodent les rapines, s'entre-ouvrent les portes de l'Abysse. Lorsque frappe l'obscurité blafarde et souffle le vent mauvais, retentit le grincement lancinant du chuchoteur.

Lentement, doucement, à pas de loup, il s'approche dans le noir, invisible mais voyant tout, de ses yeux couleur de sang il observe tout ce qui vit. La nuit est son royaume, car des ombres il est le maître, et de leur cape ténébreuse, il écoute les murmures de la vie, et les répète, encore, encore et toujours, chuchotements sempiternels aux confins du royaume des mortels. Mais ces paroles si souvent répétées, qu'il prononce sans jamais les comprendre, par les mortels ne doivent être écoutées, piège fatal et terrifiant.

Il était un homme, du duché de Lundwer. Otto était son nom, et dans la campagne de Vandwick était sa maison. Il y vivait en paix, à défaut d'être aisé, entre chaleur par ses enfants apportés et douceur de sa femme aux belles voluptés. Marienn de son ventre encore juvénile, avait donné naissance à deux beaux enfants. Hansenn bien que le plus jeune, déjà de son père montrait la force, quant à Gretenn, bien que jeune fille, s'était arrogée le respect des enfants du village. La ferme d'Otto n'était plus toute jeune, passée de génération en génération dans la famille, elle grinçait au soleil et hurlait au vent, mais toujours du froid de l'hiver avait protégé ses habitants. La terre était dure, mais rendait les fruits du dur labeur, l'impôt était lourd, mais les terres bien protégées par le seigneur. Une vie rigoureuse mais honnête, pour une famille droite et aimante.

Dans son champs, Otto avait construit un épouvantail, hideuse créature de cuir, de métal et de paille. Tant terrifiante était l'œuvre qu'il se disait au village qu'il tenait à distance même le migou sauvage. Nul corvelle ou pie cendrée ne venait ses graines picorer, car l'épouvantail d'Otto, sa plus grande fierté, dès que le vent soufflait venait les chasser. Tout comme la demeure qu'il habitait, Otto l'avait fait sifflant et hurlant au vent, si effrayant que lui-même arrivait à le craindre.

Un beau jour, l'esprit fougueux de Gretenn l'entraina dans la forêt, à la poursuite du beau Hanov, le fils du bûcheron. Seuls, couverts par les végétaux, complices des sous-bois, ils partaient s'adonner aux joies que seul apporte l'amour, et que les adultes ne pouvaient empêcher. Hanov mena sa mie au gré des chemins et des vallons, suivant la piste laissée dans l'herbe verte par une harde de daim, jusqu'à ce qu'une sombre clairière ne leur parusse sous les frondaisons. La lumière du soleil, par le couvert des arbres tamisée, avait en ce lieu de la forêt reculée créé une ambiance féérique propice aux actes amoureux. En son centre cependant, reposait un ancien puit en ruine, rongé par le temps, dévoré par la vermine, que Hanov en preux chevalier blanc chassa sans le moindre remord. Gretenn, malgré sa fougue, sentit la peur s'étreindre d'elle lorsqu'il fut venu temps de passer à l'acte. Le chuchotement lui glissait à l'oreille les sages paroles de sa pauvre mère.

« Ne fais point de confiance aux jeunes garçons, car leur fougue est passagère »

Cependant, l'embrassade d'Hanov se fit plus forte.

« L'amour est un acte qui jamais tu ne dois prendre à la légère »

Contre le puit il assit sa mie, les bretelles de sa robe doucement il fit glisser.

« L'homme poursuit l'amour qui lui apporte plaisir, la femme craint l'amour qui pourrait la détruire »

Sa main lentement sous le jupon de Gretenn se glissa.

« Un enfant à son âge ? Elle était trop jeune, et la voilà poussant son dernier soupire »

Gretenn, prise d'une peur sans mesure, d'un geste brusque repoussa son homme. Car, un court instant durant, à son oreille il lui avait semblé entendre le chuchotement. Et cette voix, celle de sa génitrice, en son esprit jetait le chaos. Le récit de la fille des voisins, conté des années auparavant par Marienn, morte en couche à ses quatorze printemps, résonnait en elle tel un sinistre avertissement. Gretenn ne se souvint point que lorsque Marienn avait ces mots prononcés, à la maison elle ne se trouvait point, et en conséquence, ne pouvait se les être remémorés. Hanov, jeune homme pourtant respectueux, fut saisi d'une crainte que sa mie ne l'abandonne. La voix de son père chuchota à son oreille des paroles insidieuses, et sa main au cou de Gretenn resserra son emprise. La terreur obsidienne arma leur esprit dans une bataille que jamais amants n'auraient menés, et par un geste désespéré, Gretenn fit par-dessus d'elle le jeune homme basculer. Main disparue, gorge libérée, son répit fut cependant de bien courte durée. Car Hanov ainsi repoussé dans le puit avait chu, et des tréfonds obscurs de la ruine plus aucun bruit ne provint. Gretenn appela, appela et appela encore, mais aucune réponse ne vint apaiser son cœur. Et lorsqu'elle réalisa que par sa faute Hanov n'était plus, se saisit alors d'elle la terreur absolue. Elle s'en fut loin, très loin de la clairière, courant dans la forêt soudain si hostile, abandonnant à jamais ses considérations de jeunesse si futiles. Mais de son effroi elle ne put se défaire ; bien mal lui en pris, car de celle-ci le Chuchoteur raffolait. Et s'il ne pouvait la suivre sous le soleil de midi, celui-ci dans les cieux jamais ne s'éternise.

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