Les Parfums de Vorepyles

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Par Ignus Dotorente, 105 EC

Le petit jour venait de se lever sur les remparts de la Cité de la Porte Froide, quand ils apparurent. Au sud, le long de la ligne d'horizon parfaitement plane des Plaines des Mines, on aperçut un nuage de poussière. On fit sonner les cloches, on fit appeler les Strategos, et on pria la Grande Créatrice autant qu'il l'était possible, mais le fait était là : les troupes de la Coalition approchaient pour reprendre la ville, tombée aux mains de l'Alliance quelques mois plus tôt.

La guerre faisait rage, entre les cités état des Plaines des Mines. Depuis la Chute de l'Empire Nordique, Belles-Mines, cité des fleurs, avait consolidé sa ligue, l'Alliance, et pris l'habitude d'être intraitable envers les cités membre incapable de verser leur tribut annuel. Face à cet impérialisme menaçant, l'implacable cité de Minékorpis, aux guerriers invincibles, avait fondé la Coalition, une force d'opposition visant à empêcher Belles-Mines d'étendre son emprise sur l'ensemble des Plaines des Mines. Les deux titans en vinrent à s'affronter sur le champ de bataille, car la discussion ne pouvait mener à rien, et Vorepyle, la cité des Portes Froides, le Verrou du Nord, était tombée aux mains de l'Alliance, après une résistance héroïque durant un siège de plus de quatre ans. Son roi avait été égorgé sur le parvis de son propre palais, ses ressources pillées par les envahisseurs démocrates, et de faux dirigeants, élus par une assemblée acquise par la ruse et l'argent à l'Alliance, s'installèrent dans la résidence des Heritiques, bénis de la Déesse, qui avaient dirigé justement et sagement la Porte Froide depuis le temps ancestral où elle s'y était arrêtée pour se reposer, et que les hommes, éblouis par la perfection de son œuvre et de son apparence, s'y installèrent pour la vénérer. Ainsi était-le monde, ainsi était la cité des Portes Froides, bafouée, violée, privée de son histoire tandis que de faux rois prétendant donner le pouvoir au peuple, ne faisaient qu'appliquer les directives de leurs maîtres tout en se prélassant dans le Palais de celui qu'ils avaient fait égorger. Nicios et Teuladème étaient le nom de ces deux faux rois, ces tyrans élevés au rang de proche de la Déesse par la force des envahisseurs, tandis que les alliés légitimes du peuple se voyaient forcés de mener le siège de la cité afin de la libérer. Le bon roi, Lecodomes, se désolait de devoir ainsi ôter la vie à tant de ses alliés. Mais telle était la dure loi de la guerre, en ces temps difficiles, et, en quelques jours, les armées rutilantes de la Coalition avait construit leurs défenses autour des hautes murailles noires et du promontoire rocheux contre lequel la cité était adossée.

Chrysis était affalée dans l'un des nombreux sofas du Palais Royal, renommé Palais du Peuple par les tyrans, tandis qu'ils y siégeaient comme deux imposteurs. Elle avait appartenu au bon roi Permanide, auparavant, et était l'une de ses possessions les plus prisée. Fille d'un des nobles de la cité, elle avait eu le malheur d'être frappée dès sa naissance de la malédiction des Fleurs, ce terrible mal lancé par les Démons sur les familles les plus malchanceuses. Son père, disait-on, avait brisé la promesse faite à un ami de lui venir en aide, sur un champ de bataille, en s'enfuyant pour sauver sa propre vie. Le Destin n'étant jamais tendre, pour qui brise le lien de parole qui le lie à ses proches, Chrysis naquit avec une graine d'olivier au creux du dos. Cette graine, destinée à germer sous la peau de la jeune fille, l'accompagnerait toute sa vie durant, répandant une délicieuse odeur autour d'elle, parant sa peau de magnifiques motifs floraux, et répandant un poison mortel dans son sang, qui lui causerait de terribles crises de douleur et de pulsions sauvages, avant de lui ôter la vie germer définitivement, et ce avant qu'elle n'atteigne ses trente printemps. Mais la malédiction des fleurs, bien plus qu'un simple drame personnel, est un danger pour tous ceux qui l'entourent. Le sang empoisonné des Filles Fleurs peut tuer le plus robuste des guerriers, et si la mort venait à s'emparer de l'une d'entre elles avant que sa graine ne s'en charge, alors ce poison se déverserait dans le sol, l'air, et l'eau, autour du lieu de son décès, rendant l'endroit inaccessible pour les siècles à venir. Telle était la terrible réalité des Filles Fleurs : condamnées à vivre dans une souffrance éternelle et un désir insatiable, danger mortel autant que source de fantasmes pour tous ceux qui les entourent, destinées à ne pouvoir vivre que comme esclaves ou filles de joie jusqu'à ce que leur fleurissement final vienne les tuer avant que la douceur de la vieillesse n'ait put commencer à pointer le bout de son nez en elles. Telle était la dure réalité des Filles Fleurs. Et telle était celle de Chrysis.

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