Chapitre 2 - Délia

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Je règle les projecteurs en souriant, amusée par le spectacle qui se déroule devant moi. J'ai été engagée par un couple qui vient d'avoir un bébé pour effectuer un shooting avec leurs deux enfants pour Noël, et je suis touchée de voir cette petite fille de quatre ans fixer son frère avec tant d'amour. J'ai connu ça aussi. Et je préfère me réjouir d'un tel portrait que de laisser des souvenirs remonter.

Une fois mon matériel totalement réglé, je m'approche de ces faux anges pour les mettre comme je les ai imaginés. Les clichés de familles ont déjà été réalisés, ce sont les prises de vue les plus évidentes, les parents arrivent plutôt bien à canaliser leur progéniture. En revanche, lorsqu'il s'agit de placer une toute petite personne qui gigote dans tous les sens, de la convaincre que chatouiller son frère avec des guirlandes n'est pas une bonne idée, et de trouver la pose et l'angle de photo parfait... Ce n'est pas aussi simple. Heureusement que les nouveau-nés sont plus faciles à installer que les bambins.

— Oksana, tu veux bien coller ta tête contre celle de Théo ? Voilà, décale-toi légèrement, et ne touche pas aux décorations de Noël s'il te plaît !

Elle s'exécute en jetant la boule de mon sapin un peu plus loin, et je grommelle en les rejoignant pour arranger ça. Je ne peux malheureusement rien dire, et les parents ne semblent pas déterminés à me simplifier la tâche. Je replace les cadeaux autour d'eux, ce qui laisse la possibilité à leur père de les distraire le temps de quelques clichés. Quelques photos plus tard et une série en rafale, je me redresse derrière mon appareil et je fais défiler ma galerie pour constater le résultat. Certains portraits sont flous, la petite ayant décidé de grimacer, mes réglages de luminosité sont mauvais sur d'autres, mais la majorité est prometteuse. Après quelques retouches, le bilan devrait être plus que satisfaisant.

Oksana semble comprendre que j'ai terminé, car elle attrape un des cadeaux pour le montrer à son frère, puis s'amuse à jeter les guirlandes en l'air. Les enfants...

— Je suis désolée, Oksana est dans sa période « je touche à tout », s'excuse la femme.

Je lui souris en couvrant l'objectif de mon appareil et j'éteins les projecteurs avec la télécommande pour ne pas gaspiller d'énergie.

— Vous savez, je les trouve plutôt sages, aucune boule de Noël n'a fini pleine de bave, plaisanté-je.

En réalité, même si j'adore mon travail de photographe, je préfère de loin les réalisations plus scolaires à ce genre de mise en scène. Les petits voient ça comme un jeu, et il est souvent difficile de les canaliser. Entre l'heure que me prend le shooting, les réglages, les clichés flous, car les enfants bougent, et les décors conséquents où il me faut une bonne heure pour tout ranger... C'est une perte de temps considérable. Mais je ne peux pas me plaindre, au bout du compte je ressors avec le sourire, et tout le monde n'a pas la chance d'exercer le métier de ses rêves.

— Dans combien de jours aurons-nous accès aux photographies ?

— D'ici deux semaines sur votre espace personnel, et vous les recevrez développées dans un long mois. Tout pile à temps pour préparer les fêtes de Noël !

Ma cliente semble satisfaite et insère sa carte dans le TPE pour régler le shooting qui a duré deux bonnes heures. J'inspire profondément en lui imprimant sa facture, et une fois les affaires rangées, je les raccompagne à la sortie. Après un signe de main, je tourne le panneau vintage accroché sur ma porte pour signaler que je suis fermée.

Vingt heures. Enfin.

Lorsque j'ai emménagé à Lyon pour tout recommencer, j'ai ouvert ce studio photo. Ce n'était pas grand-chose à l'époque, mais c'était à moi, et ça me suffisait. Aujourd'hui, je suis toujours seule à travailler, mais je fais de longues journées, et mon planning est plein un bon mois à l'avance.

Une fois l'entrée principale fermée à double tour, je m'attèle à ranger toutes les décorations dans les boîtes, triant chaque ornement de Noël par couleur. Aussi rapidement, je change le fond installé avec les enfants pour du vert, celui que j'utilise le plus souvent pour créer n'importe quelle scénographie à la demande des clients.

Je récupère mes affaires dans l'arrière-boutique puis, après avoir enclenché l'alarme du studio, sors par la porte de derrière pour rejoindre mon appartement. Je n'habite pas très loin de mes locaux, dans le cinquième arrondissement de Lyon. Lorsque j'y arrive au bout de quelques minutes de marche, je me motive à monter les trois étages qui mènent à mon repos. Enfin.

J'allume toutes les lumières de la pièce principale de mon petit deux-pièces, et je me laisse tomber sur le canapé après avoir retiré mes chaussures. C'est clairement le meilleur moment de ma journée. Ça et l'instant où je me glisserai sous une douche bien fraîche. Je m'apprête à lancer la télé pour ne pas rester dans le silence, le bruit m'empêchant de me perdre trop loin dans mes pensées, lorsqu'un écho de griffe résonne dans l'appartement et je me lève en grommelant. Je sais déjà de quoi il s'agit. J'ouvre la vitre pour me retrouver face à une minuscule chatte noire qui a décidé de m'adopter.

— Que puis-je faire pour toi, Simone ?

Pour toute réponse, l'animal saute dans mon salon en un faible miaulement adorable, et je l'observe se poser sur mon canapé comme si de rien n'était. Je l'ai trouvé quand elle était toute petite sur le toit juste en dessous de ma fenêtre. Je pensais qu'elle appartenait à quelqu'un, mais j'ai vite compris que ce n'était pas le cas lorsqu'elle a commencé à passer toutes ses nuits à l'appartement et que personne ne l'a réclamé. C'est ma seule compagnie. Depuis que ma vie a été ravagée, je n'ai plus rien. Plus rien d'autre qu'un studio photo et un chat qui représentent toute mon existence.

Lutter - ON FIRE TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant