Chapitre 6 - Délia

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Je déteste Caleb Milliers. De quel droit se permet-il de se comporter ainsi ? De remuer mes tourments comme s'il me connaissait ? Je n'ai pas besoin qu'un pompier me prenne en pitié, encore moins celui-ci. J'ai passé des années à me débrouiller sans l'aide de personne. Alors oui, peut-être que tout n'est pas parfait, peut-être que mes terreurs nocturnes ne sont pas normales, mais je suis la seule à pouvoir décider de quoi faire pour m'en sortir.

Ma nuit n'a pas été de tout repos. Je me suis réveillée en sueur, avec l'impression que toutes mes terminaisons nerveuses étaient en train de brûler. Pourtant, cette fois, ce n'était pas le décor habituel. Je n'étais pas enfermée dans une pièce qui me semblait ridiculement petite à suffoquer au milieu de la fumée, des voix m'appelant à l'aide en fond : j'étais au centre de mon studio, observant ma vie tomber en cendre. Je ne pouvais pas bouger, comme si mes pieds ne voulaient plus obéir, j'étais complètement impuissante. Exactement comme je me sens quand je revois mes locaux carbonisés. Mes décors disparaissaient sous les flammes, jusqu'à ce que cela m'atteigne et que je me réveille avec cette même sensation que lors de mes terreurs nocturnes habituelles.

Je ne souhaite pas y penser. Pas après la discussion que j'ai eue avec l'adjudant. Ce serait lui donner raison, avouer que j'ai besoin d'aide parce que mes souvenirs me hantent. Il en est donc hors de question.

Généralement, quand je veux chasser tous ces souvenirs, je travaille. Je prends des clichés, je crée des scénographies soignées en apparence, pour récupérer un semblant de vie parfaite. Sauf que je n'ai plus de studio photo pour m'évader.

Alors j'ai eu le temps de réfléchir à une solution, ne réussissant pas à me rendormir, et quand la clochette retentit dans la boutique dans laquelle je viens d'entrer, je ne suis plus si sûre que cela soit une bonne idée.

— Bienvenue, est-ce que... Délia ?

Un sourire crispé étire mes lèvres, et je tente de ne pas penser au fait qu'il est rare que je sois vraiment sincère. Rare... Pourtant j'ai souri, cette nuit.

— Salut Pascal. Je suis désolée de te déranger, si tu es en plein shooting, je peux repasser, déclaré-je d'une voix qui se veut assurée.

En réalité, je sais que même s'il était occupé, il ne me mettrait pas dehors. C'est l'une des personnes les plus curieuses que je connaisse. On s'est rencontré à l'ouverture de ma boutique, il venait jauger la concurrence. Et... Il m'a très vite eu dans le collimateur lorsque j'ai commencé à avoir un planning plus rempli que le sien.

— Tu ne me déranges jamais. Assieds-toi, qu'on discute un peu.

Il me désigne le canapé d'angles installé près de son comptoir. Toute sa décoration est en noir et blanc, puisqu'il est spécialisé dans la photographie argentique. Il a voulu que cela se voie au premier coup d'œil.

— J'ai appris la nouvelle pour ton studio, je suis vraiment désolé, déclare-t-il une fois à mes côtés.

Son visage reflète une sincérité perturbante. Je ne pensais pas que ma situation le toucherait, peut-être que cela pourrait jouer en ma faveur.

— Oui, ça a été difficile à encaisser. Je suis partie, et lorsque je suis revenue, il n'y avait plus rien.

— Est-ce que tu sais ce qui a déclenché le feu ?

J'avise sa figure sans pouvoir me retenir, les mots de l'adjudant tournant dans ma tête. Criminel. Et si c'était vrai ? Et si un de mes concurrents avait voulu récupérer mes clients ? Mais je chasse bien vite cette idée. Si Pascal est une enflure, il n'est pas un malfaiteur. Il ne ferait jamais ça. Même si ce n'est pas pour autant que je compte lui faire confiance et tout lui dire.

Lutter - ON FIRE TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant