Prologue - Délia

390 60 2
                                    

Il fait nuit noire

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Il fait nuit noire. Une nuit sans aucune étoile, de celle qui effraie n'importe quel enfant. Même ceux persuadés que la lumière finit toujours par les éblouir de nouveau. Je fais partie de ceux qui ont saisi que ce n'est qu'un mirage. J'ai constamment le sentiment d'être prisonnière d'une situation sans possibilité d'entrevoir la moindre issue de secours.

Pourtant, je ne panique pas. Parce que je sais exactement ce qu'il se passe ensuite. Je connais la pénombre avant les flammes. D'abord, l'effroi prend possession de mon petit corps lorsque je regarde tout autour de moi pour comprendre, pour trouver. Pour fuir. Dès lors, mon souffle se fait plus court, ma poitrine monte et descend à un rythme de plus en plus rapide. Et pourtant, ce n'est pas le pire. Ce n'est que le début.

Je ne bouge plus, je suis tétanisée. Le sang pulse plus fort dans mes veines, je sens que je devrais me mettre debout et courir, mais à la place, j'observe. J'ai peur, mais je ne suis plus que spectatrice.

Au loin, les cris me parviennent. Ils me déchirent la poitrine, retournent mon âme et me marquent au fer rouge. Ils m'entourent, semblent proches, et pourtant ils paraissent loin. Tellement loin que je n'arrive finalement plus à les discerner. Qui hurle si fort ? Qui m'appelle ? Les voix se mélangent, forment un unique brouhaha et s'éteignent.

Il fait toujours aussi sombre, mais je parviens à distinguer quelque chose. Comme une forme dont la silhouette vacille. On croirait presque que c'est une danseuse gracieuse dont les mouvements sont si amples qu'elle finit par devenir une simple masse. Je fronce un peu plus les yeux pour tenter de voir plus loin, pour comprendre ce dont il s'agit, mais ce n'est rien. Rien d'autre qu'une fumée qui se décompose autour de moi. J'ai presque l'impression qu'elle ne peut pas m'atteindre et je calme aussitôt ma respiration trop rapide. L'angoisse m'étreint une seconde et s'évapore comme les effluves à mes côtés. Si elle ne me touche pas alors je suis sauvée.

Je rêve de partir, de retrouver la tranquillité et la lumière, mais je suis bloquée.

J'inspire plus fortement pour tenter de me rassurer comme je le peux, mais tout ce que je perçois me glace le sang. La fumée ne me frappe pas, mais l'odeur âcre qui s'insinue dans mes narines ne laisse place à aucun doute. Elle me terrifie un peu plus.

Il faut que je quitte cet endroit avant qu'il ne soit trop tard. Je sais que je suis à un tournant. C'est maintenant ou jamais. Les voix reprennent et hurlent davantage. La peur qui m'étouffait s'empare de mon ventre et me broie, pourtant elle me permet aussi de reprendre connaissance. J'inspire brusquement malgré la fumée qui vient brûler mes poumons et je tente de réfléchir à toute allure. Je n'ai jamais été du genre à fuir devant un insecte ou un visiteur trop curieux, mais là, je sais que je dois le faire. J'en ai conscience, mais je n'y parviens pas. C'est le dilemme le plus cruel d'une vie. On m'appelle au loin, on me dit de sortir, mais je n'arrive pas à les abandonner pour me sauver.

Le voile brumeux devient de plus en plus épais, l'odeur de brûlé se répand un peu partout et me prend à la gorge. Pour la première fois, je tousse. Je ne suis plus simplement à observer, mon corps réagit. Mais pas assez pour partir. Il subit.

Une voix parmi les autres s'éteint, mais je n'ai pas le temps d'y penser parce que je ressens une étrange chaleur qui m'entoure. C'est presque agréable avant que cela ne soit écrasant. Ma toux se décuple, la touffeur devient intolérable. Ma peau brûle sans que cela soit réel. J'ai l'impression qu'elle s'immisce dans chacun de mes pores, et lorsque mes nerfs m'envoient des décharges suffisamment fortes pour me tirer un hurlement, je sais que je n'ai qu'une seconde pour me décider.

Soit je péris dans les flammes, soit je lutte pour rester en vie.

Et je choisis de lutter. Je bouge malgré le fait que je n'arrive plus à respirer et que je me sens me calciner en dedans. J'avance dans le noir, je cherche ma direction jusqu'à ce que je mette la main sur la poignée d'une porte. Elle est extrêmement chaude, mon corps me hurle de m'en éloigner, pourtant ce serait me retourner dans une chaleur bien plus dure. De toute façon, intérieurement, ma température est similaire. Je brûle tout autant que le métal.

Mes doigts s'accrochent et entrouvrent pour retrouver le couloir. Juste assez pour voir un spectacle aussi mystique que terrifiant. Les flammes se jettent à travers la porte, elles me frôlent, déchirent les murs et réduisent en cendres mes souvenirs.

Cette fois-ci, la réalité me rattrape et ce n'est plus supposé. Alors, je crie. J'appelle les voix qui hurlent de l'autre côté. Je veux les sauver. Les prendre dans mes bras, leur assurer que tout ira bien. Les nuances orangées sont de plus en plus grandes et je le fixe de mon regard d'enfant. Elles sont gigantesques, elles m'effraient tellement que le reste disparaît. La fumée, l'odeur, la chaleur. Il ne subsiste plus qu'elles et leur crépitement. Je ne peux plus passer, c'est déjà trop tard.

J'ai voulu lutter, et je n'ai pas réussi.

Je ne sais plus si je dois avancer. Ou reculer. Dans tous les cas, il faut que je prenne rapidement une décision, que je fasse quelque chose, peu importe l'issue, mais avant que je ne puisse réagir, mon souffle se coupe. Les flammes devant finissent par m'entourer complètement, prêtes à m'engloutir. C'est bientôt terminé, je connais tout cela. Il ne manque plus qu'une seule chose.

La chaleur me touche, le feu me consume.

Je brûle.

Lentement, ou peut-être trop promptement, j'espère mourir, que ce soit enfin achevé. Je vais au moins les rejoindre. Mon corps s'échoue sur le sol, mes yeux se ferment l'espace d'une seconde.

Avant que la réalité ne me rattrape.

Assise au milieu de mon lit, mes paupières largement relevées, j'essaie de reprendre ma respiration. Le rythme de mon cœur est bien trop rapide, mais grâce à cela, je sais que je suis vivante. La main sur ma poitrine, je tente de calmer les battements et soupire aussi fortement que possible.

Je touche ensuite mon corps, à la recherche de la moindre parcelle de peau calcinée. Pourtant je vais bien. Je suis chez moi. Rien n'a brûlé, personne n'est mort cette nuit. Ce n'est que mon esprit qui me torture dans cet enfer personnel que représente mon sommeil.

Ce cauchemar, je le connais par cœur. Je l'ai tellement vécu qu'il m'arrive de songer qu'inconscient et conscient se mélangent. Les dizaines de psychologues que j'ai vus diraient que c'est ma mémoire traumatique qui se rappelle à moi. Vous savez ce que j'en pense ? Que personnellement, ça me bouffe la vie. Je refuse de me souvenir.

La lumière allumée, je vide le verre d'eau sur ma table de chevet et m'allonge de nouveau sur le matelas froid, le corps en sueurs. J'appréhende déjà que demain, je sois épuisée de ma nuit, bouleversée par ces images que je tente d'oublier. Je dois me rappeler que dans la vraie vie, il n'y a plus de feu, pas même une braise incandescente, et que personne ne finira blessé, parce qu'aujourd'hui, je suis toute seule. Pour toujours.

Lutter - ON FIRE TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant