[FIVE] C h a r l i e

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[CHAPITRE RÉÉCRIT]

Il était dix-neuf heures vingt-trois et Raven n'était toujours pas sortie de la salle 102, dans laquelle elle avait élu domicile après m'avoir assassiné du regard. Je trouvais que ce qui était drôle, chez elle, c'est qu'à un moment, elle corrigeait votre copie pour éviter le vingt en littérature, et trente minutes après, elle vous faisait la tête comme si vous aviez tué sa mère. Peut-être que sa mère était un mauvais exemple, cela dit. Mais j'étais assez mal placé pour me mêler de ce genre de choses.

Elle a fini par sortir, la tête haute, le dos droit, des éclairs dans les prunelles, et comme ça m'amusait, en quelque sorte, j'ai fait pareil. Se rendait-elle compte à quel point elle était plus divertissante qu'autre chose ? Je ne me souvenais même plus pourquoi elle avait cette attitude, ni ce que j'avais dit pour la provoquer. La moindre de mes paroles la mettait hors d'elle. Elle a levé les yeux au ciel, visiblement excédée par mon comportement.

Je ne savais pas vraiment pourquoi j'agissais de cette façon. Je n'appréciais pas Raven. Peut-être même que je la détestais. J'étais conscient qu'elle avait toutes les raisons de me haïr. J'avais beau paraître idiot, je m'étais bien rendu compte avec le temps que ce que j'avais fait était impardonnable. Mais, dans ma tête, j'avais une bonne raison, qui ne justifiait pas les actes mais qui leur donnait un peu moins d'importance. Elle avait été mon amie, une éternité plus tôt. Je m'étais confié à elle. Et sa petite famille parfaite avait causé la perte de la mienne. Pour moi, nous n'étions même pas quittes. J'avais peut-être brisé son adolescence, mais elle, elle avait ruiné ma vie et celle de ma petite sœur. 

— J'ai faim, a-t-elle simplement dit.

J'ai eu envie de lui dire un truc énervant, juste pour la voir fulminer. J'aimais voir la colère déformer ses traits, avoir ce pouvoir de toucher la fille sensible qui se cachait sous son masque si bien étudié. Mais j'ai fini par me reprendre, il ne valait mieux pas attiser les tensions si nous restions vraiment ici durant quatorze jours. J'étais si responsable, je m'étonnais moi-même.

Elle a ramené sa chevelure rousse en un chignon décoiffé, ce qui a fait apparaître sa nuque blanche. J'ai détourné les yeux, chose que je ne faisais jamais devant une fille – il en allait de ma fierté. Elle attendait une réponse, mais j'ai laissé un silence dérangeant s'installer entre nous. Ce silence avait un goût de mensonges et de tristesse, et il était amer sur la langue. Je voulais qu'elle le ressente dans chacune de ses cellules. Qu'elle me déteste et qu'elle souffre. J'étais horrible, mais pas pire qu'elle. C'est ce que j'aimais me dire quand je redevenais lucide pendant quelques instants, et que je réalisais ce que je faisais.

— On peut aller en salle des profs, si tu veux, il y a des biscuits et des sucreries. Et du thé et café. Beaucoup de café, d'ailleurs. À croire qu'ils ont peur de s'endormir, ai-je proposé.

J'étais beaucoup trop aimable, mais je n'avais pas le choix. Je me dégoûtais, quand je parlais de cette façon. Je n'étais pas comme ça. Il ne fallait pas qu'elle s'habitue à cette facette de moi. D'accord, j'avais fait cessé l'enfer que je lui avais fait subir quatre ans plus tôt, mais je ne l'aimais pas pour autant. Même mes amis n'avaient presque pas droit à ma bonne humeur.

Elle a laissé échapper un sourire mais s'est vite reprise, embarrassée.

— Est-ce que tu viens de sourire ? ai-je lâché. Ça me dégoûte.

— Rien que le son de ta voix me dégoûte, Wheeler.

J'ai haussé les épaules sans exprimer la moindre émotion et j'ai continué ma route vers la salle des profs, sans me soucier de sa présence derrière moi.

— Si tu vas en salle des profs, ne mange pas trop parce que... Nous allons rester coincés ici durant deux semaines.

J'ai hoché la tête. Je venais à peine de me rendre compte du temps que nous allions passer ensemble, et ça ne me faisait absolument pas peur. Au contraire, j'avais hâte. Bizarre, quand on y pense. Mais c'était différent de d'habitude, ça cassait ma routine, c'était excitant. J'aimais ça. Et peut-être que je pourrais m'amuser, finalement. Si Raven coopérait, évidemment. 

Seulement deux Semaines [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant