Odeur 3

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— Non, Gontran, tu n'as pas le droit de massacrer Super Trouper comme ça ! m'insurgé-je en me levant violemment.

Je lui prends le classeur des chansons disponibles au karaoké pour éviter le massacre. Hors de question que ce type chante ABBA. Il a déjà tué bien trop de chansons comme ça. Si je dois faire barrage de mon corps, monopoliser le karaoké jusqu'au bout de la nuit, avaler des cocktails douteux, enlever mon haut même pour soudoyer le barman afin qu'il coupe l'électricité... oui bon d'accord, peut-être commencer par ça pour éviter tout le reste.

Je ne sais pas encore.

— Attention, la fan hardcore sort ses griffes, se moque Ulysse.

— Hé, tu dirais quoi s'il voulait chanter Coldplay ? rétorqué-je.

Ulysse change de couleur. Ahah !

— Je pourrais parfaitement chanter Coldplay ! proteste Gontran.

— Bien sûr... mais il faudrait d'abord inventer une potion contre les fausses notes, glousse Marlou. Ou une potion d'oubli, histoire qu'on ne se rappelle plus de ta performance.

Ulysse répond quelque chose avant d'éclater de rire. Gontran grogne. Mon esprit s'éloigne. Potion. Sorcellerie. Aragorn. F.I.S.C.S.

J'ai laissé la carte sur le rebord du bar dans ma cuisine. Elle y est depuis hier soir. Ce matin, j'ai bu mon café en la regardant. En descendant les escaliers, j'ai bloqué sur la fenêtre où il a pris appui pour exécuter son putain de saut périlleux. J'ai ensuite passé la journée à éviter soigneusement de penser à tout ça.

Je ne sais pas qui il est.

Je ne sais pas ce qu'il faisait chez moi.

Je ne sais pas ce qu'il voulait.

Et honnêtement, j'en ai rien faire. Si c'est pas un inspecteur des impôts, il me fait pas peur. Et s'il revient... bon, je ne sais pas ce que je ferais. Je devrais sans doute élaborer un plan de bataille. Déjà, convaincre Chaplin de ne pas se faire la malle.

— La Terre appelle Ursule ! lâche Marlou en me poussant légèrement sur le côté.

Elle me sort de mes pensées. Je lui en suis reconnaissante.

— Tu pensais encore au séisme ? s'inquiète Ulysse.

Oui, évidemment. Je ne leur ai pas dit qu'un type était venu frapper à ma porte, avait accompli un exploit surhumain (celui de prendre mon chat dans les bras, pas de faire un saut périlleux, je suis persuadée qu'avec un minimum d'entraînement, moi aussi je pourrais sauter par-dessus six mètres de vide, ou à défaut, m'étaler comme il le faut) et m'avait laissé une carte avec un acronyme douteux.

A bien y réfléchir, c'était peut-être une secte. C'est plutôt bien joué de leur part d'envoyer Aragorn quand même. Les femmes doivent pas lui résister longtemps avant de signer tout ce qu'il souhaite. Mais il ne m'a pas eue ! Eh non, j'ai Chaplin comme joker. Na na na nèreeuh

Enfin bref, mes collègues ignorent tout de ça. On a passé la journée à faire l'inventaire au labo, à envoyer des bons de commandes, à faire des rapports sur nos avancées, à essayer de sauver ce qu'on pouvait de nos expériences qui n'ont pas été détruites par le tremblement de terre... Et bien sûr à spéculer sur ce qui avait bien pu se produire.

Pas de faille, pas de chevauchement des plaques... Y a absolument rien qui pourrait justifier un séisme avec Nîmes en épicentre. On est pépères nous. Pas le lieu pour les ouragans, les tornades, les séismes, les tsunamis... on demande rien à personne. Mais la terre arrive quand même à trouver le moyen de nous balancer un truc pareil. Je vous le dis, le réchauffement climatique ça craint.

Les odorantes aventures d'Ursule FlatuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant