13. Appel dans la nuit

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Depuis mon cauchemar, j'ai eu le sommeil léger. Sursautant au moindre bruit : le vent dans les sapins, le craquement du bois dans les escaliers.

Le problème des vieilles maisons c'est qu'elles sont en permanence emplies de bruits insolites et inattendus. J'attrape un pull épais et me glisse hors de la chambre, éclairée dans ma descente vers le rez-de-chaussée par la lumière de mon téléphone portable. Sans bruit, comme si je jouais le fantôme de cette ancienne demeure, je longe les couloirs déserts et pénètre dans la bibliothèque. Sybille n'est plus là, elle dort depuis longtemps, mais elle a laissé la douce couverture sur la banquette vert émeraude. Je m'y blottis, allumant une petite lampe de chevet en forme de fleur dans le style art nouveau.

L'ampoule est orangée et sa lumière auréole depuis la petite table en bois ronde, le bout du canapé et mes pieds sous la couverture. Je joue avec mon téléphone, sans savoir ce que je cherche vraiment. Le numéro que Art a laissé sur mon bras, je l'ai enregistré dans mes contacts. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça... Jamais je n'accepterai son invitation. Et dans quelques heures, lorsqu'il aura découvert ses manuels empilés dans le couloir du lycée, il va être furieux.

J'ai abîmé son casier, refusé de partager le mien et pour lui faire comprendre que je n'aimais pas son ton un peu direct, je me suis vengée. Ce n'est pas non plus très grave, ses livres vont s'en remettre. Mais je m'en veux.

Il est trois heures du matin et j'ai des remords. Trop tard pour réparer mon action, trop tôt pour en vivre les conséquences. Je voudrai qu'on m'assomme ! Au moins, je dormirai comme une marmotte, sans mauvaise conscience et sans regret.

Mon doigt frôle le contact :
«Art-au-casier-défoncé ».

Son numéro s'affiche sous son nom. Je ne sais même pas pourquoi j'ai précisé « au casier défoncé », de toute façon je ne connais aucun autre Art. Mon téléphone est d'ailleurs vide de tous contacts. Je viens de l'avoir et je n'y ai même pas reporté les téléphone et emails de mes anciens camarades français. Pas par flemme, juste par peur. Je sais qu'ils vont m'oublier et continuer leur vie sans moi. J'ai plus peur de savoir que je ne compte plus façon loin des yeux loin du cœur, que de prendre moi-même volontairement mes distances. Car je sais que plus jamais je ne retournerai dans mon pays. Il n'y a plus rien qui m'attends là-bas. Je suis seule.

Je soupire. Je pourrai envoyer un texto préventif à Art. M'excuser avant qu'il découvre ce que j'ai fait. Est-ce que ça compte ? Je m'enfonce un peu plus sous la couverture en frottant mes pieds l'un contre l'autre pour me réchauffer. Mes yeux piquent, s'embuent de sommeil. Mais je résiste. Je ne veux pas sombrer. Pas retourner sur cette colline en feu.
Mon esprit tourne en rond et mes forces s'amenuisent.

Il est trois heure trente-deux, j'ai recommencé mille fois le message dans ma tête et ai effacé mille fois le début de ce que je tapais. Je suis à bout. Le téléphone me glisse des mains à cause de la fatigue, il tombe presque sur le tapis et je le rattrape in extremis. Lorsque je regarde l'écran, je me fige. Argh ! Il... il appelle Art.

Je tente de raccrocher en urgence, mais mes doigts glissent dessus et le portable s'enfoncent dans les plis de la couverture, puis dans le trou entre le matelas du canapé et de l'accoudoir.
Le son étouffé de la sonnerie me parvient. J'essaie de me calmer en me disant que personne ne répond à trois heures et demie du matin, que les gens normaux mettent leurs portables en mode avion ou en sourdine.

Ma main prise en sandwich dans le velours tâte à la recherche de cet engin de malheur. Désespérément. Enfin, je sens sous mes doigts la chaleur de l'écran tactile. Avec précaution, je l'extirpe.

« Enfin ! je m'exclame.

- Allô ? lance une voix enrouée.

- Merde !

Je balance le téléphone au bout du canapé comme s'il s'agissait d'un fruit empoisonné. Je contemple sans bouger, le cœur battant l'objet rectangulaire.

- C'est qui ? soupire la voix étonnement sexy et profonde de Art.

- Merde ! Merde, merde, merde ! je couine en plongeant mes deux mains dans la masse de mes cheveux noirs.

Il va peut-être finir par se lasser et raccrocher ? J'attends en silence, le souffle court. Lorsqu'il me semble que tout est revenu au calme et que la lumière du téléphone faiblit, je le reprends avec précaution, du bout des doigts comme une chaussette sale oubliée sous un lit depuis des semaines.

Je tourne l'écran face à moi pour m'assurer que la communication est bien coupée. L'écran n'indique aucune icône d'application. Il est noir. Etrange...

Je le pose sur mes genoux repliés et soupire fortement :

« Bon sang ! ça craint si je l'ai cassé !

- Sélène ?

Je pousse un cri et retient ma respiration.

L'écran n'a pas viré au noir. C'est parce que c'est un appel vidéo ! Et Art est dans l'obscurité.

- Merde ! je répète.

Mon doigt va raccrocher.

- Attends, Sélène !

Co... Comment sait-il que c'est moi ? Mon visage est hors du champs de la caméra.

- C'est pas Sélène ! Faux numéro !

- Sélène, il y a un problème ? Pourquoi tu m'appelles si tard ?

- Ce n'est pas Sélène, au revoir.

Et je raccroche. J'ai tellement honte ! Mon visage me brûle, je dois être si rouge que je pourrai irradier toute la pièce.

Un texto apparaît aussitôt sur mon écran.

Je parle mal français, mais je sais ce que veut dire « merde ». Or je ne connais qu'une française qui a mon numéro. Ravi d'avoir le tien aussi, Sélène. A demain.

Quelle débile ! Dans la panique, je me suis exprimée en français !

Et merde !

🐺🧙‍♀️🧛🐺🧙‍♀️🧛🐺🧙‍♀️🧛

La suite bientôt !

La pauvre, j'étais gênée pour elle 🤣

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 28, 2023 ⏰

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