11. Déclaration de guerre

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Je ne me détends qu'une fois arrivée à la maison. Après avoir pris une douche et fais une partie de mes devoirs dans ma chambre à l'étage, je descends pour voir Sybille. Comme souvent, elle lit un roman dans la bibliothèque. La pièce est grande pourtant, ce soir, elle me fait l'effet d'un cocon avec les épais rideaux de velours vert tirés sur les grandes fenêtres donnant sur le jardin, les étagères en bois foncé courant sur les murs, le bureau ancien où s'étalent les fiches de révisions que ma cousine colore comme des arcs-en-ciel avec ses surligneurs.

Je m'assieds à côté d'elle, sur une énorme banquette en velours émeraude. Elle se décale un peu, me faisant une place sous un plaid en polaire. Je frissonne de bonheur en profitant de la chaleur et cale un énorme coussin derrière la tête. J'avais vraiment besoin d'un instant de calme après cette journée.

- Intégrer un nouveau lycée est plus éprouvant que prévu, je soupire en basculant mon visage en arrière.

- Premier jour difficile ? marmonne-t-elle, le nez dans son livre.

- Hum, je croise les bras sur ma poitrine.

Le lustre m'éblouit légèrement et je ferme les paupières. Comment lui expliquer que je suis cernée par les deux garçons que je devais à tout prix éviter ?

- Est-ce que tu sais comment trouver un petit boulot dans le coin ? je demande.

- T'as besoin d'argent ? Mes parents pensaient te donner de l'argent de poche, autant qu'à moi chaque semaine en fait. C'est largement suffisant, crois-moi.

- Pas question ! je me redresse sur un coude et la dévisage alors qu'elle lève ses yeux de sa lecture. Je ne peux pas dépendre comme ça de tout le monde, c'est pas possible !

- Sélène, la vie a été compliquée pour toi ces derniers temps. Tu as le droit de bénéficier d'un peu d'aide, de la générosité de ta famille et d'être insouciante. Tu n'es encore qu'une ado !

- Mais...

- Cela te gêne ? elle referme le livre et le place sur ses genoux, ses jolies mains blanches aux longs doigts fins se posent sur la couverture bordeaux de ce livre ancien.

- Je ne veux pas être dépendante. Je peux accepter un toit et de l'aide mais pas au point de... de...

- De nous faire totalement confiance  ? De penser qu'on ne veut que ton bien ? Je comprends que nous soyons encore des inconnus pour toi. Après tout, on ne se connait que depuis quelques semaines, elle hausse les épaules. Néanmoins, nous sommes ta famille et c'est un lien qui est sacré chez les Saintclairs. Tu peux te reposer sur nous.

- Je...

Je dévie mon regard vers un coin de l'épais tapis et m'abîme dans la contemplation des arabesques tissées.

- J'ai besoin de croire que je suis maîtresse de ma vie, tu comprends ? Il y a trop de chose qui ont échappé à mon contrôle et que je n'ai fait que subir.

L'accident. Le deuil. Le déménagement. Venir ici.

Je serre les lèvres car je ne peux les mentionner à haute voix sans penser à mes parents que je ne reverrai jamais, à mes amis qui vont continuer leur vie sans moi dans le pays où je suis née et que j'ai aussi dû abandonner.

- J'ai besoin, je reprends, d'avoir quelque chose à moi. Quelque chose qui n'appartient qu'à moi et dont je suis responsable.

- De l'argent ? elle lève un sourcil.

- Un travail. Un environnement où je ne serai que Sélène Dulac et pas une lycéenne qui débarque en cours d'année ou une cousine un peu étrange. Je veux un endroit loin du lycée et... d'ici. Ne le prends pas mal.

Sybille m'observe un long moment en silence, avant de lâcher :

- En ville, ils cherchent des étudiants parfois dans les cafés et les restaurants. Je t'y déposerai demain. Ne dis rien à mes parents pour le moment, ils feront une syncope s'ils apprennent que tu veux travailler en plus du lycée. Je serai une tombe de mon côté.

- Merci, je souffle.

- À une condition.

Mince...

- Tu acceptes quand même l'argent de poche des parents (même si tu n'y touches pas) et leurs cadeaux.

- Mais...

- Et mon amitié. On ne peut pas vivre seule, Sélène. C'est trop triste.

Elle me tend la main pour sceller notre accord.

- Ton amitié, d'accord.

On se sourit. Des amis, je n'en ai pas trop. Et c'est ce qui me manque le plus.

- Parfait ! elle me fait un clin d'œil. J'ai un vélo dont je ne me sers pas, je peux te le prêter. Cela te permettra d'aller à ton travail en journée. Si tu finis en soirée, je viendrai te chercher en voiture.

- Sybille ?

- Hum ?

- J'ai quasiment défoncé le casier de Art Blackwood ce matin, j'avoue. On a échangé nos casiers mais il a refusé de me filer le code du sien, sauf si je venais le prendre chez lui.

- Alors là... elle se redresse prête à en découdre. Comment ose-t-il te...

Je lève une main, paume face à elle:

- J'ai réglé le problème.

Sybille ouvre ses beaux yeux verts sous ses boucles rousses quand je lui explique ce que j'ai fait et elle finit par éclater de rire.

Dans le couloir du lycée, une pile de livre et des stylos en vrac sont entassés à côté d'une poubelle. Les lycéens trouveront demain matin un papier posé sur le haut de la pile :

« Nous sommes sans casier fixe suite à un accident. Si vous nous trouvez, appelez Arthur Blackwood svp. »

Bien sûr, j'ai remis mes affaires dans mon casier et changé le code. Demain, j'irai me dénoncer au proviseur et je payerai les dégâts avec mon futur salaire.

Les erreurs s'assument. C'est ma philosophie.

- C'est une vraie déclaration de guerre ! Sybille est hilare.

Elle me supplie d'accepter son argent de poche en attendant que je trouve un moyen de la rembourser quand j'aurai décroché un job.

- C'est lui qui m'a cherchée ! je réplique.

Je fais la fière, mais je me demande comment cela se passera quand Art et moi on se retrouvera face à face, devant nos casiers demain matin...

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Tout se met en place doucement... Bientôt un peu plus de révélation et de surnaturel 😉
Merci de suivre cette histoire !

Dance with the Moon (En Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant