3. Blue Parrot

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Je m'attendais à tout sauf ça ! Je veux dire, j'ai pensé que le Blue Parrot serait un bar de quartier avec des tabourets hauts et un vieux zinc, des piliers de comptoirs racontant leur vie autour d'une bière ou une atmosphère de motards, mais alors là ! Les murs sont d'un papier peint art déco et les appliques dorées comme le lustre en cristal plongent cet endroit dans l'opulence des années folles. Malgré toutes les ampoules, il fait assez sombre, donnant un aspect cosy et feutré à cet endroit. Je m'assieds sur une profonde banquette de velours vert émeraude, une table basse dont le plateau miroir me sépare de Sybille qui s'effondre sur un fauteuil crapaud bordeaux. Je la vois fouiller dans son sac à main à la recherche de son inhalateur. Son front perle de transpiration. Ses lèvres roses aspirent la brume médicamenteuse.

— Ça va ? je lui demande en lui prenant la main, me sentant soudain coupable de lui avoir demandé de m'accompagner.

J'aurai pu venir seule, mais en vélo cela m'aurait pris presque trente minutes et je n'aime pas rouler de nuit. Sybille a eu une voiture et un permis. Je n'ai pas encore le mien. Contrairement aux adolescents américains, il faut avoir dix-huit ans en France pour pouvoir conduire et non seize, je n'ai pas encore eu l'occasion de passer mon permis ici. De toute façon, depuis l'accident, conduire me terrifie. Ma cousine était donc la seule à pouvoir m'accompagner. Et ce soir était le moment où jamais car mon oncle et ma tante sont absents. S'ils nous savaient en zone franche... je n'ose imaginer leur réaction.

Sybille me sourit faiblement en reprenant son souffle. Je fais signe à la barmaid pour prendre nos commandes. Elle se contente de m'ignorer. Aucune carte sur les tables pour savoir ce qu'ils servent, ni les prix. Je devrais pouvoir m'en sortir en commandant deux sodas, je pense. Deux coupes de champagnes se matérialisent soudain devant nous. Je lève les yeux. Un serveur en tenue blanche nous salue.

Bon sang ! Du champagne ? Mais... je n'ai pas les moyens.

— Je n'ai pas commandé ceci ! je désigne du menton les deux verres pétillants.

— Offert par ceux deux messieurs, répond le serveur sans ciller en désignant une table plus loin.

Dans une alcôve sur notre droite, deux hommes ou plutôt deux ombres sont installées à une table et ils ne bougent pas quand je les regarde. Sont-ils seulement réels.

— Nous refusons, dis-je au serveur.

— Mais... hésite le serveur, décontenancé.

— Nous ne buvons pas d'alcool. Nous sommes mineures alors deux jus de fruit, je lui tends un billet que j'espère suffisant pour nos consommations.

Il plisse les yeux et nous dévisage avec effroi. J'ai l'impression qu'il essaie de deviner notre âge et la provenance de mon accent.

— Et puis, on n'accepte pas de verre d'inconnus, intervient Sybille avec un aplomb qui me surprend. Nous partirons dès que nous aurons consommés, soyez gentils de nous servir rapidement.

Le serveur détaille les cheveux roux de ma cousine et déglutit. Moi aussi, je la regarde avec ahurissement. Elle a parfois une façon hautaine et tranchante de parler qui me donne l'impression de parler à une artistocrate d'un autre temps. D'habitude si timide quand elle est avec moi ou ses parents, elle peut d'un instant à l'autre changer de personnalité et devenir une autre. Elle croise alors ses jambes nues dans son petit short en cuir et se redresse, le menton haut en défiant le serveur du regard.

Ce dernier pivote sur lui-même pour aller chercher nos commandes, non sans avoir retiré les coupes de champagne de notre table.

— Tu ressembles parfois au portrait du couloir, tu sais ? je m'amuse.

Dance with the Moon (En Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant