I Delicat I

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Des pas s'écrasent lourdement sur le sol de gravier en pente. Elles se déposent non telle une feuille au gré de la brise du vent du soir, mais comme une imposante pierre qui tombe abruptement dans l'eau calme d'un lac. Ils tapent et résonnent, traduisant la colère du jeune homme, épuisé du monde et des personnes qu'il abrite. Sur ses 20 ans d'existence, il n'a connu le plaisir de vivre dans l'insouciance que durant 5 ans ; Tout son univers plein de fantaisie s'est écroulé sans mise en garde lorsque son père décéda à son jeune âge.
Et l'hypocrisie de sa famille se montra au grand jour, lorsque sa pauvre mère tomba malade d'épuisement par sa constitution fragile, laissant le malheureux garçon plus tard au collège endosser la responsabilité de parvenir à acquérir l'argent nécessaire pour leur foyer. Et sans surprise, il se laissa plonger dans les tourments d'un quotidien douloureux, jusqu'à en devenir avare d'argent.
Aujourd'hui, sa frustration l'enveloppa davantage lorsqu'il fut licencié pour une énième fois des deux postes de travail qu'il occupait. Pour agression injustifié sur clients. Bien que le mot « injustifié » ne possède sa place ici, ses employeurs décidant seulement de faire la sourde-oreille face aux dires d'Halim qui ne souhaitait que s'expliquer, se retrouvant dans une injustice. Il avait besoin de ces travailles et ne pouvait accepter d'être ainsi renvoyer, sa réputation étendue dans toute la ville ne favorisant pas les probabilités d'être accepté dans d'autres postes.
Et il refusait catégoriquement de gagner de l'argent sale, bien que l'idée s'incruste peu à peu davantage dans son esprit, se retrouvant doucement au pied du mur.
L'odeur de l'herbe fraîche de la montagne se glisse dans ses poumons, dont un parfum particulier de fleurs qui détend l'agressivité tourbillonnant dans le sang de Halim. Celui-ci toujours marchant pour atteindre son but, errant à la recherche d'un lieu apaisant, loin des bruits de la ville et de la présence humaine, passe une de ses larges mains dans ses cheveux d'un brun intense ébouriffés afin de ressentir plus profondément le vent du soir, dans une veine espérance qu'il emporte également ses pensées dérangeantes. Et plus il s'avance haut dans la montagne ouverte au ciel, plus la lune et ses feux deviennent clairs et visibles. Halim soupire et baisse la tête, les yeux plantés sur le sol qui du gravier devient terre et poussière. Désormais, il traine des pieds, comme labourant le sol. Il n'a plus d'énergie à donner ;
Ni aux autres, ni aux actes, ni à ses pensées.
Le jeune homme ne possédait pas de proches autres que sa tendre mère, qu'il chérissait plus que n'importe qui. Il ne pouvait laisser passer une parole qui entacherait son nom, et son impulsivité le menait bien souvent au fond des ennuis. Il était pourtant très intelligent et mature, alors pourquoi ne pouvait-il contrôler ses émotions ? Avant même de s'en rendre compte, ses sentiments prenant le dessus sur sa personne, il s'élance sans arrêt dans le précipice des regrets. Et le seul échappatoire qu'il pu trouver pour se libérer un court instant de toutes ses responsabilités est la marche solitaire.
Il n'était venu encore qu'une seule fois sur cette montagne quelques mois auparavant. Celle-ci était loin d'être effrayante, elle ne possédait pas une couverture de forêt, mais de longs champs de maïs et de blés dorés et secs exposés à la lumière du jour, seuls deux trois arbres étant présents aux abords des chemins. Et tout en haut, au bout de cette petite montagne, est présent un lieu inconnu de beaucoup par sa position lointaine de la ville ;
Une place qui survole la civilisation, plus proche du ciel et de ses mystères que de la commune et son agitation. Et loin des lumières industrielles, nous ne pouvions que voir les nombreuses étincelles accompagner l'astre de la nuit.
Sensé être un emplacement désert, Halim pensait pouvoir s'isoler en venant ici, malgré la longue route épuisante. Cependant, lorsqu'il est parvenu à atteindre sa destination, le jeune homme s'arrêta nette lorsqu'il aperçu qu'une jeune fille occupait en première cette place qu'il convoitait tant, appuyée sur la misérable rambarde en bois au bord du vide.
Celle-ci portait un voile d'un noir simple aux petits motifs discrets d'un bleu pastel sur les bords, vêtue d'un large et long pull de même couleur reposant par dessus une longue jupe noir qui lui arrive jusqu'aux chevilles. Son visage faisait face au paysage montagnard qui entourait la ville en dessous, tel un bocal rempli de lucioles, surplombé par la grandeur d'un ciel flamboyant par l'embrasement scintillant des astres, l'éclat des lumières venant apaiser l'obscurité abyssale des cieux.
Il ne pouvait cacher sa déception de trouver une intruse sur son lieu convoité. L'idée de faire demi-tour lui ait passé par l'esprit, mais conscient de la longue route parcourue, Halim se devait de profiter au moins de quelques minutes cette place semblable à un trésor inestimable. Il décida de s'approcher doucement d'un pas résigné de la rambarde finalement, afin de s'y appuyer également dessus bras croisé. Non près d'elle. Plutôt à l'extrémité, à l'opposé de la jeune voilée, qui entendant les pas du brun, jeta un coup d'œil vers celui-ci afin de savoir qui était là également. Elle même savait que ce lieu était désert en temps normal. Mais sans s'attarder, elle fixa de nouveau droit devant elle, se redressant tout en gardant ses deux mains sur le bois.

Âmes inconnues, se rencontrèrent pour la première fois. Sans un mot, sans un regard plus que nécessaire, ils observaient avec concentration le paysage qui s'offrait à eux, tout autour le calme et le silence les enveloppant. Non pas un silence oppressant, bien qu'il possédait une certaine lourdeur. Un silence intense, mais aussi fluide qu'un ruisseau s'écoulant dans une prairie.

Après de longues minutes à se tenir ainsi, Halim décide de sortir de la poche de son pull blanc une boîte de cigarettes accompagnées d'un briquet simple et noir. Lorsqu'il allume la flamme de son objet, il embrase le bout du tube une fois placé entre ses lèvres, dont le coin droit laisse une blessure apparente encore récente. Une blessure en provenance de son altercation de plus tôt aujourd'hui, ayant brisé également l'un des verres de ses fines lunettes carrées. Les yeux clos, Halim aspire une longue bouffée de fumée qu'il laisse glisser jusqu'à ses poumons meurtris, ressentant son poison voyager à l'intérieur de chaque branche, chaque parcelle de ses organes. Un poison le consumant aussi vite que le feu qui consume le papier de sa cigarette. Lorsqu'il expulse le surplus de fumée, une voix douce et basse atteint ses oreilles.
— Vous ne devriez pas toucher ses bêtises. Cela finira par vous mener à votre tombe., prononce la jeune fille sans lui adresser un regard, mais étirant un faible sourire.
Halim regarde la fumée danser au gré de l'air.
— S'il n'y avait que ce pauvre poison comme problème dans la vie, on se porterait déjà tous mieux., dit-il sans sourciller de sa voix grave, bien qu'une note amère se cachait derrière sa phrase.
— Et pourtant, il fait parti de ces nombreux problèmes de tous les jours.
— N'est-ce pas ?, répond t-il.
— Oui.
Le silence tombe de nouveau. Halim inspire de nouveau son poison. De nature sociable, le jeune homme parvenait à s'entendre avec tout type de personnes. Bien qu'à l'heure actuelle il n'avait aucune envie de faire des rencontres. Mais jamais il ne les laissait traverser le mur qu'il s'est établit ; Un mur gigantesque, épais, aux vieilles pierres froides et solides. Ce que la jeune fille ressentait malgré l'absence de conversation entre eux.
En effet, cette demoiselle a toujours été très douée pour cerner avec une facilité incomparable l'humain. Dotée d'une grande bonté, elle ne pouvait pourtant s'empêcher d'ignorer le danger qu'une personne pouvait représenter pour elle. Non par naïveté ou par surplus de gentillesse, mais elle continuait sans cesse de tendre sa main car aussi égoïste et égocentrique que cela puisse être, elle ne voyait que son reflet dans les yeux des autres.
Un reflet misérable, pitoyable.
Cette nature la mena bien souvent vers des difficultés, dont une qui l'impacta plus que n'importe quelle autre chose.
— Êtes-vous venu mettre fin à votre vie ici ?, demanda t-elle, avec son éternel sourire. Non par mépris. Non dans l'idée de sauver quelqu'un. Seulement pour savoir, sans une raison apparente.
— Non. Et toi ?
— Non plus.
Silence. Le bruissement des champs vient compléter ce vide.
— Les rares personnes qui viennent ici, viennent pour admirer la beauté du paysage avant de traverser la rambarde pour se laisser tomber dans le vide. J'étais donc juste curieuse de la raison votre venu., l'informe t-elle.
Quant à lui, il n'avait aucune connaissance sur ces informations, ne se doutant pas qu'il s'agissait d'un endroit tel que celui-ci. Bien qu'en y pensant, un lieu désertique, magnifique et en hauteur pouvait en effet mener à cela. Comme si ces personnes souhaitaient avoir en dernière vue ce ciel qui ne donne que l'impression de flotter à l'intérieur.
— Comment le sais-tu ?
— J'aime simplement savoir quels secrets cachent les lieux où je me livre.
Halim trouvait cette conversation aussi étrange qu'intéressante. Et plus que tout, il trouvait cette jeune voilée déconcertante. Le jeune homme pose ses yeux sur elle qui l'ignore, mais sent son regard sans pour autant le voir. Pourquoi cache t-elle son apparence d'un voile et de larges vêtements ? Il était curieux, mais n'osait poser la question. Le brun préférait rester loin des religions, qui selon lui ne provoquait que haine et division. Il n'avait la patience d'ajouter une autre source de fatigue par dessus ses soucis déjà présents. La jeune fille se retourne pour faire face à Halim, sans pour autant se rapprocher de lui. Une distance de moins de 2 mètres les séparait, et l'un comme l'autre n'avait l'intention de réduire cet écart. Le jeune homme qui fixait une personne qui ne lui posait pas un seul regard, se voit désormais plonger ses yeux pers dans les iris d'un marron sombre de celle-ci. Son faible sourire s'étire avec tendresse, d'une manière à donner un pincement au cœur, tant une douce mélancolie et chaleur se traduisait de cette expression. Face à face, ils s'observent durant une bribe d'une seconde qui semblait durer plusieurs minutes étendues. Les traits du visage de l'inconnue étaient de tout ce qu'il y avait de plus normal, mais une délicatesse et une lumière présentes lui donnait un charme attrayant. Contrairement à Halim, qui lui son visage possédait quelque chose de sombre et de sinistre malgré son apparence avantageux et presque angélique. Une bulle les enveloppes, comme si rien ni personne ne pouvait interrompre leur échange.
— Je m'appelle Ahlam.
— Halim.

La Nuit Des Songes - Un instant éphémèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant