00 | INTRODUCTION

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La vielle maison de Mantemaur était remplie de toiles d'araignées. Elle avait aussi de vieilles portes et fenêtres de bois dont la peinture bleue, déjà délavée par les intempéries, s'écaillait et disparaissait progressivement au fil des années ; un parquait qui grinçait systématiquement dans les pièces de l'étage où il remplaçait les vieux carreaux de tuile rouge qui recouvraient le sol du rez-de-chaussée ; une glycine qui recouvrait façade de pierres tordues, incontrôlable et qui nécessitait une coupe conséquente chaque année en été qui devenait alors l'activité de la journée ; une pelouse coupée régulièrement uniquement sur le devant de la maison, le reste du jardin paraissant tout à fait laissé à lui même ; une cave définitivement abandonnée accueillant un grand nombre de chauve souris et une grange poussiéreuse et grinçante qui elle accueillait les nids des oiseaux. Dès sa première visite, Magda en était tombée amoureuse. Ils n'y venaient pas souvent, parfois une semaine en été, de façon irrégulière, mais à chaque fois, c'était la meilleure semaine pour Magda. Elle aimait la Drôme estivale, la Drôme en fleurs : des fleurs sauvages et des herbes jaunes et rêches, toutes les montagnes boisées et les randonnées sur des petits chemins escarpés, les baignades dans la rivière douce et ses galets secs, où on sautait du haut des rochers, même la voiture qui slalomait sur les petites routes, entourée de vallons de crêtes et de pics, et leur couverture d'arbres, ce décor vertigineux où les forêts ondulent sous ses yeux, où elle est face à l'immensité des montagnes. Et elle adorait Mantemaur. Elle adorait le petit village aux maisons de pierre et aux toits roux, blanchis par le soleil, les chats qui se baladaient sur les murets, le petit bistrot, l'épicerie, l'antiquaire (qui faisait par ailleurs plus office de brocante du village) et la minuscule mairie sur la place, les ruelles plus ou moins pavés qui se tordaient partout, le labyrinthe des ruelles, et, les habitants, qui les rares fois où elle était venue l'avaient saluée avec de grands sourires et beaucoup de gentillesse ; tout était doux, dans ce village, et avec l'été s'ajoutaient à cette douceur omniprésente la paresse des jours chauds, la paresse délicieuse de s'allonger au soleil et lire un livre, se prélasser sur un pauvre banc en attendant que la vie s'écoule, lentement. Puis s'ajoutait à tout ça le charme étrange de la maison de la grande tante Aude ; Magda aimait quand lorsqu'il faisait une chaleur écrasante dehors on allait s'abriter sous les pierres, dans le salon toujours frais, qu'on fermait les grands battants de bois de la baie vitré pour empêcher le soleil de rentrer ; elle aimait lorsque les soirs d'orage, la maison sentait l'humidité, le vent sifflait de partout, la pluie cognait sur les tuiles et les éclairs faisaient trembler la fenêtre de sa chambre : lors de ses soirs d'orage, on sentait la pluie de partout, et tout la maison semblait grincer, siffler et trembler avec l'intempérie. Magda n'était venue que quelques fois à Mantemaur mais gardait précieusement tous ces souvenirs et petit détails, se remémorant quelques fois ses vadrouilles solitaires, lorsqu'elle grimpait les côtes puis escaladait les arbres et les pierres, puis ramenait des bouquets pleins de fleurs sauvages à ses parents.

La grande tante Aude habitait dans sa maison à l'année bien que le père de Magda (son neveu, dont elle était proche) ait tenté nombreuses fois de la convaincre d'aller vivre dans une grande ville, pas loin d'eux, si elle avait un problème, car elle se faisait vieille et avait eu de nombreux problèmes de santé, mais Aude ne se laissa jamais convaincre, disant qu'avoir les gens du village à proximité suffisait largement. Magda ne voyait pas souvent Aude mais l'avait toujours admirée ; c'était une femme si grande, si noble, si belle dans son âge et sa solitude royale, à vivre dans cette grande maison à la montagne. Mais Magda n'y songeait pas plus que ça. Et, soudainement, un jour de mars, durant sa seconde, son père lui apprit qu'Aude était morte, et que n'ayant aucun enfant, c'était lui qui avait hérité de sa maison. Puis il lui annonça que cette année, ils iraient passer l'été exclusivement à Mantemaur, afin d'entretenir la maison, de récupérer des affaires, et surtout choisir quoi en faire pour la suite. Cela faisait si longtemps que Magda n'était pas venue dans le petit village de montagne.

On était le deux juillet, Magda venait de finir son année de seconde, et du haut de ses quinze ans et onze mois, elle avait l'impression que la grande vie commençait finalement. On était sur l'autoroute des vacances, la jeune fille pouvait finalement reprendre une grande bouffée d'air, couper du lycée et de ce monde bruyant et épuisant ; et retrouver l'été, la chaude solitude et les cigales.

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