03 | QUAND MAGDA ET ROSALIE ONT PARLÉ

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ROSALIE : C'est assez étrange. Parfois je me sens comme décalée, tout l'orchestre joue bien en rythme et j'suis là, j'comprends pas la pulse et j'perds mon tempo, j'suis en mode ah putain non des croches pas des triolets ! Mais t'sais parce que les gens, parce que le monde, parce que l'univers et toutes ces merdes, j'me dis ok j'fais juste du playback, l'orchestre est trop stylé right now, j'vais pas tout casser à tenter des trucs maxi bancals, alors que dans ma tête c'est la cacophonie et j'veux juste casser ma flûte ou faire un concert d'enfer.

((reconstitution : quelque part vers mi juillet, nuit ; rosalie et magda dans une chambre grise))

MAGDA : Mais tout le monde. Tout le monde croit que tout est ordonné et en même temps tout le monde croit être décalé du rang. Sauf qu'au final du coup on est tous des anomalies qui se cachent derrière un costume de personne saine et sensée et du coup au final on reste tous les mêmes et tous ordonnés dans nos anomalies mais on garde nos masques? Ce qui st plutôt con parce que pourquoi se cacher derrière des artifices et plein de bails alors que en vrai on est tous bancals t'sais.

((C'est drôle parce que d'habitude je parle pas autant. Mais j'sais pas avec toi it felt like c'était okay de juste déblatérer, t'sais, histoire de.))

ROSALIE : T'aimes bien te cacher derrière des tous le monde. Tu dis toujours ce genre de trucs de au final vu qu'on est tous les même... sachant que ton raisonnement se base sur la thèse la plus pétée du "on est tous différents et donc vu qu'on l'est tous ça nous rend tous pareils".

MAGDA : Mais c'est pas une mauvaise thèse. C'est purement véridique. TU crois que tes souffrances adolescentes, ton mal du siècle, t'es propre ? Tu n'es pas sans savoir que déja au XIX tout le monde pensait pareil ; de même, tu crois que ce feeling du temps qui te coule des mains, de la mort partout qui va arriver n'importe quand à tout moment te confère une humanité, mais tu n'es pas sans savoir non plus que ces impressions tout le monde les a ressenti, de l'Antiquité en passant par le Moyen Age, où on écrvait déjà de bien belles ballades sur l'opressiopn du memento mori et la putréfaction du corps, au Baroque au Romantisme au Surréalisme et au tout ce que tu veux ? Et t'as jamais constaté combien on était sur Terre à cette formidable époque du XXIe ? Toutes tes amours et toutes tes peines ont déjà été vécues par quelqu'un d'autre sous une forme dont la difference s'arrête probablement aux noms et visages des concernés, et encore. Rien en nous est unique, j'suis vraiment désolée mais c'est juste de la vérité pure. 

ROSALIE : Ma vie j'ai juré t'es si fataliste. T'as trop peur d'assumer qui tu es, qui on est et tu préfères sortir des bails comme tout le monde pleure tout le monde rit tout le monde souffre et tout le monde est banal au final... Mais non. C'est faux. C'est pas parce qu'une personne random in the whole universe a des caractéristiques similaires au miennes que ça y est putain, j'suis aussi banale que M.Lamda expert comptable marié avec un chien deux gosses dans une maison de banlieue. J'suis pas d'accord. Je refuse la banalité, je refuse la norme et le morne. Et puis, tous ces gens, on les connait même pas, alors, qui s'en fout ? Pourquoi dès qu'on sort un bail un peu deep un peu romantique directement faut faire, wow, calme tes ardeurs, ta pensée elle est éclatée parce qu'une personne dans le monde je sais même pas qui je sais même pas où je sais même pas quand l'a déjà pensée. Mais laisse moi vivre. Laisse moi exister, au lieu d'être préoccupée de milliers de gens qu'on connait ni d'eve ni d'adam. Ce n'est pas parce qu'un ressenti a déjà été ressenti qu'il n'est plus aussi fort ou plus aussi beau. Ce n'est pas parce que Lamartine a un jour écrit sur la solitude et sa langueur de jeune poète que ça y est quiconque qui exprime ça a perdu toute originalité et toute crédibilité et de même ce n'est pas parce qu'au XIXe tout le monde racontait la même chose et les mêmes tristesses que parce que Lamartine l'a fait aussi il devient un pauvre type. 

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