Chapitre 11

1 0 0
                                    

Quia Merrow decrevit.

Mais comment ? s'interrogea Serafina avec désespoir. Comment a-t-elle pu faire ça ? Comment a-t-elle pu forcer toutes celles qui allaient lui succéder à endurer ça ?

Levant les yeux vers l'imposante créature et sa carcasse de bronze noircie par le temps, Serafina crut qu'elle allait s'évanouir de terreur.

- Tu as peur de moi ! Et tu as bien raisssson. Je me délecterai bientôt de ton sssang, traîtressssse. Et de tes ossss...

Alìtheia se précipita vers elle, son corps rasant le sol, ses horribles yeux noirs étincelants.

Serafina étouffa un cri. Dans sa tête, elle entendit la voix de Tavia lui raconter l'histoire d'une contessa perfide qui, plusieurs siècles plus tôt, avait enlevé la vraie principessa lorsqu'elle n'était encore qu'un nouveau-né et l'avait remplacée par sa propre fille, ensorcelée pour lui ressembler. La regina, tout le peuple miromarain et la jeune sirène elle-même étaient persuadés qu'elle était bel et bien la principessa. Tout le monde, excepté Alìtheia. Elle avait planté ses crochets dans le cou de la malheureuse et l'avait emportée dans son repaire. Son corps n'avait jamais été retrouvé.

- Personne ne se connaît vraiment, mon enfant, avant d'avoir été mis à l'épreuve, avait dit Tavia.

Et si je n'étais pas celle que je crois être ? songea Serafina. Elle imagina Alìtheia plonger ses crochets dans son propre cou et l'entraîner à moitié vivante dans son repaire.

La créature avançait vers elle d'un pas arachnéen. Il ne lui restait plus que quelques mètres à parcourir, désormais.

- Héritière, tu n'es ssssûrement pas... Usurpatrisssse, tu es. Mort aux traîtresssssses...

Alìtheia décrivit des cercles autour d'elle, se rapprochant toujours un peu plus, puis baissa la tête jusqu'à ce que ses terribles crochets ne soient plus qu'à quelques centimètres du visage de Serafina. Une autre goutte de venin tomba sur les pierres.

- Qui es-tu, traîtressssse ?

Serafina sentit son courage vaciller. Elle recula devant la créature, détournant son regard de son horrible gueule. Ce faisant, ses yeux tombèrent sur la foule assise dans l'amphithéâtre, sur ces milliers et ces milliers de Mer... Elle était leur principessa, la fille unique de la regina. Si elle les abandonnait, si elle s'enfuyait lâchement, vers qui se tourneraient-ils lorsque le règne de sa mère s'achèverait ? Qui les protègerait avec la même passion que celle qui habitait Isabella ?

Soudain, elle sut ce qu'elle devait répondre à la créature. Et cette certitude la remplit de courage et de force. Serafina se tourna bravement face à l'araignée.

- Je suis à eux, Alìtheia. J'appartiens à mon peuple. Voilà ce que je suis !

Elle leva le cimeterre que le Mehterbasi lui avait donné et fit courir la lame dans le creux de sa main. Le fil lui meurtrit la chair et une volute de sang s'échappa de la blessure. Elle tendit sa main ensanglantée, paume vers le ciel. L'araignée s'avança.

- Je suis Serafina, fille d'Isabella, princesse du sang ! Proclame-le à ton tour.

Alìtheia siffla. Elle pressa ses palpes à poils drus sur la blessure et goûta au sang de Serafina. Puis elle se cabra et hurla de rage. Elle s'écarta de la sirène et ses pattes retombèrent lourdement sur le sol, craquelant les pierres sous leur poids.

- Pas de chhhair fraîchhhhe pour Alìtheia ! Pas d'osssss pour Alìtheia ! hurla-t-elle.

De son pas claudiquant, elle fit le tour de l'amphithéâtre, menaçant ses gardiens, tentant de franchir leur ligne de défense pour atteindre les Miromarains. Les Mer poussèrent des cris de terreur et bondirent de leurs fauteuils, mais les gardiens la maintenaient à distance en brandissant des globes de lave. La roche blanche en fusion, suffisamment chaude pour faire fondre le bronze, était la seule chose au monde que craignait l'araignée.

- Alìtheia ! tonna une voix. Alìtheia, écoute-moi !

C'était Isabella. L'araignée se tourna vers elle, l'air renfrogné.

- Quel est ton verdict ?

On entendit plus un bruit. La mer elle-même semblait retenir son souffle. L'araignée rampa jusqu'à la tribune royale et saisit la couronne de Merrow entre ses crochets. Elle retourna auprès de Serafina et la plaça sur sa tête. Puis, fléchissant ses pattes avant en guise de révérence, elle proclama :

- Ssssalut à toi, Ssssserafina, fille de Merrow, princessssse du sang, héritière légitime du trône de Miromara.

Serafina fit une profonde révérence en direction de sa mère. L'acclamation qui s'éleva fut assourdissante. Elle se redressa au bout de quelques instants, attentive à maintenir la couronne de Merrow en équilibre. Elle pesait bien plus lourd qu'elle ne s'y attendait . Pas totalement remis de sa confrontation avec Alìtheia, son cœur battait à la chamade et sa blessure à la main la lançait, mais elle se sentait fière et euphorique.

D'un bout à l'autre de l'amphithéâtre, le peuple mer se leva en poursuivant l'ovation. Dans la tribune royale, Isabella et Bilaal se mirent debout, et le reste de la cour royale les imita. Une tache bleu vif accrocha le regard de Serafina.

C'était Mahdi. Il portait une veste de soie turquoise et un turban rouge. Cela lui coûtait beaucoup de l'admettre, mais il avait un charme fou. Son visage revenait régulièrement dans ses rêves depuis dix ans. Il n'était pas comme dans ses souvenirs : plus mûr, plus anguleux. Il croisa son regard et sourit. Il était magnifique, ce sourire. Mais aussi un petit peu gêné, un petit peu gobie. Dans ce sourire, Serafina retrouva le triçon qu'elle connaissait.

Revoir ce Mahdi-là lui serra le cœur. Où était-il donc passé ?

Les joueurs de boru sonnèrent à toute volée, l'empêchant de s'attarder davantage sur cette question ou sur la tristesse qu'elle lui inspirait. Le Mehterbasi la rejoignit et l'aida à remettre son manteau. Puis il banda sa main blessée.

Le rituel du sang était terminé. Elle savait ce qui l'attendait ensuite : la deuxième épreuve, le rituel du chant. Son estomac se noua à cette pensée. C'était le moment pour lequel elle avait travaillé si dur, le moment où le talent, les études et la pratique finiraient par payer.

Ou pas.

La saga WaterFire - Deep BlueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant