Chapitre 3

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- Non, non, non ! Pas les peignes incrustés de rubis, espèce de limace de mer, les peignes avec les émeraudes ! grommela la coiffeuse. Va vite me chercher les bons !

Son assistante déguerpit aussitôt.

- Pardonnez-moi, mais vous faites erreur ! L'étiquette exige qu'en entrant dans le Kolisseo la duchessa di Tsarno précède la contessa di Cerulea.

C'était donna Giovanna, châtelaine de la chambre, qui s'adressait à donna Ottavia, maîtresse de la garde-robe.

- Ces roses de mer viennent d'arriver pour la principessa de la part du principe Bastiaan, annonça une servante. Où dois-je les poser ?

On pouvait distinguer une dizaine de voix, et toutes parlaient en même temps. Elles s'exprimait en merlangue, la langue commune du peuple mer.

- Tous ces sauts d'octave, murmura-t-elle. Cinq contre-ut aigus, des trilles et des arpèges... Pourquoi Merrow a-t-elle prévu une épreuve si difficile ?

Spécifiquement composé pour tester les futures regina sur leur maîtrise de la magie, le chanvoûtement du Dokimì devait être lancé sous la forme d'un canta mirus, un chant extraordinaire. Un mirus était une forme de magie complexe qui requérait une voix puissante et beaucoup de talent. Pour la maîtriser, il fallait prévoir de longues heures d'entraînement, et Serafina avait dû travailler sans relâche pour y exceller. Les lanceurs de mirus pouvaient commander à la lumière, au vent, à l'eau et au son. Les meilleurs d'entre eux avaient la capacité d'embellir les chanvoûtements existants, voire d'en créer de nouveaux.

La plupart des sirènes de l'âge de Serafina ne savaient lancer que des sortilèges en canta prax, c'est-à-dire sous la forme d'un chant simple. Les prax créaient une magie d'usage pratique, utile au quotidien et à la survie des Mer : des sorts de camouflage pour tromper les prédateurs, des sorts d'écholocation pour nager dans les eaux sombres, des sorts pour se déplacer plus vite ou pour épaissir un nuage d'encre. Les canta prax étaient les tout premiers sortilèges que l'on apprenait aux enfants mer et même ceux qui n'avaient pas beaucoup d'aptitudes à la magie étaient capable de les lancer.

Serafina prit une profonde inspiration et commença à s'exercer. Elle chantait à mi-voix pour que personne ne puisse l'entendre, tout en s'observant dans un panneau de mica décoratif. Il lui était impossible de répéter le sortilège en entier - au risque de détruire la pièce - mais elle pouvait toujours travailler certains passages.

- Alìtheia ? Tu ne l'as jamais vue ? Moi je l'ai déjà vue deux fois, ma chère, et le moins qu'on puisse dire... c'est qu'elle est absolument terrifiante !

Assise dans un coin, la vieille baronessa Agneta discutait avec la toute jeune donna Cosima. La première avait des cheveux gris et portait une robe affichant un camaïeu de violet particulièrement criard. Cosima, quant à elle, était vêtue d'une tunique bleue et une épaisse tresse blonde lui arrivait au bas du dos. Serafina bafouilla, perturbée par leur conversation.

"Tu n'as aucune raison d'avoir peur d'elle, alors cesse de te tracasser", lui avait souvent répété sa mère, mais, d'après ce que Serafina avait entendu dire sur Alìtheia, c'était beaucoup plus facile a dire qu'à faire !

- Elle a été fabriquée par les dieux eux-mêmes. Bellogrim, le forgeron, l'a façonnée, et Neria lui a insufflé la vie, poursuivit Agneta d'une voix forte, car elle était à moitié sourde.

- Est-ce qu'il y aura des bisous pendant le Dokimì ? demande Cosima en fronçant le nez. On m'as dit qu'il y en aurait.

- Un peu à la fin. Tu n'auras qu'à fermer les yeux. C'est ce que je fais, moi, répondit la baronessa en sirotant son thé de sargasse.

La saga WaterFire - Deep BlueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant