Part II - 16

116 13 3
                                    

°2017°

La musique qui titillait les oreilles de Soobin éteignait tout ce qui se trouvait autour de lui. À chaque rythme changeant du violon les battements de son coeur s'y associaient, s'accélérant, ralentissant, selon le bon vouloir du musicien. Il se trouvait comme dans une bulle, bercé d'une mélodie qu'il espérait infini. Tout semblait noir aux alentours, le monde n'existait plus. Ses yeux ne voyaient pas l'attroupement dans un espace exigu, son corps ne percevait pas ceux de ses voisins qui l'effleuraient parfois par accident, son nez ne sentait pas les odeurs diverses que dégageait la foule. Rien à par le son, à par ses oreilles écrasées par un casque. Peut-être aurait-il pu entendre les voix, ou alors l'air qui frappait le métro, le cri des roues sur les railles, mais rien de tout ça ne lui parvenait. Le volume de son téléphone monté à l'orée du maximum. Taehyun lui disait souvent qu'il perdrait l'ouï à force d'écouter de la musique aussi forte.
À bien y penser, Soobin préférait parfois perdre un sens plutôt que d'affronter la foule. S'il ne pouvait plus entendre, alors il n'aurait pas à s'encombrer d'un casque pour s'évader, il n'aurait pas à l'enfoncer sur sa tête pour exquiver le vrai monde.

Mais alors il ne pourrait plus entendre la musique, ni la voix de ses amis, ou encore les murmures de l'Étoile.

Finalement, l'idée de perdre un sens lui déplaisait. L'idée de perdre ce sens surtout.

Après tout, l'Étoile ne serait-elle pas triste s'il décidait qu'il valait mieux ne plus entendre ? Elle qui lui avait justement fait le don d'une meilleur ouï ?
Il ne voulait pas la rendre malheureuse. Où qu'elle soit, elle ne méritait pas d'être triste.

Les dernières notes de violon tombèrent, un dernier souffle pour l'instrument, les applaudissements du publics puis le silence. L'enregistrement qu'il avait activé depuis une plateforme d'écoute se terminait, laissant place aux bruits du monde qui le percutèrent. Soobin n'avait pas fermé les yeux mais eu l'impression de les ouvrir, de quitter un nuage noir de solitude pour plonger dans le métro bondé d'un vendredi soir. Il eu un sursaut lorsque l'engin fit un glissement dans son parcours souterrain, un virage qu'il connaissait pourtant par coeur. Sa jambe toucha celle de son voisin, qui se décala un peu, croyant déranger, et Soobin battit des paupières afin d'émerger peu à peu dans la réalité. Autour de lui s'agglutinaient des hommes d'affaires en costumes, aux visages marqué par la fatigue, quelques anciens bruyant à qui on avait laissé les places assises, une ou deux mères de familles aux bras chargés de courses, ainsi qu'une majorité d'étudiants qui empruntaient la ligne de métro la plus fréquenté pour rejoindre leur demeure. Soobin s'attarda sur cette dernière catégorie, ou plutôt sur quatre d'entre eux.

Coincé contre une porte se tenaient Beomgyu et Taehyun, tout deux le nez plongés sur leurs téléphones, écouteurs dans les oreilles pour le premier, visage bercé d'ennui pour le second. Non loin on pouvait apercevoir Kai, qui regardait par la vitre le défilé de l'obscurité. Ses jambes rebondissaient timidement sur le sol, comme s'il sautillait, visiblement impatient d'arriver à destination. Et puis face à Soobin il y avait Yeonjun, debout au centre du brouhaha, tenu aux barres et le corps basculant d'avant en arrière à chaque secousse. Il se démarquait des autres par sa chevelure d'un bleu vif, qui attirait les rictus désapprobateurs de certaines grands-mères. Néanmoins les regards sur sa personne ne lui faisaient ni chaud ni froid, il souriait doucement, jouait avec la gravité mise à rude épreuve par les mouvements du métro, puis posa ses yeux sur Soobin.
Leurs regards s'accrochèrent, une, deux, trois secondes de trop, et le plus jeune des deux détourna le visage, maudissant ses joues rougissantes. Yeonjun, lui, n'en sourit que davantage, il aurait même sûrement rit si ils étaient seul.

C'était son nouveau jeu préféré, un jeu qui durait depuis quelques semaines maintenant. Il flirtait petit à petit avec les limites de Soobin, par un regard, un geste, ou des mots aux sens ambiguës. Simple jeu ? Aucun des deux n'en était vraiment certain.

~ Magic Island ~ UtopiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant