MON ombre a le teint pâle, les joues creusées, la peau tirée, les lèvres gercées, les ongles rongés, les traits défaits, les yeux sombres. mon ombre a les yeux sombres, sombres quasiment immensément noirs. tout ce noir, cette profondeur de noir devient rouge au soleil, dans la chaleur des nuits d'été, des nuits sans sommeil. les yeux de mon ombre sont rouges d'ivresse, cette ivresse qu'elle ne connaîtra jamais. ils sont rouges comme le sang qu'elle voit sortir de mon corps, qu'elle aime regarder couler, s'écouler. elle aime même y tremper l'un de ses doigts sombres et sentir la chaleur d'un morceau de moi fondre sur sa langue, s'évanouir en elle. mon ombre a les yeux rouges parce qu'elle est un monstre.
ALORS, la nuit, quand elle est près de moi, si près que je sens son souffle lourd, son souffle qui m'empêche de respirer, je vois ses deux yeux rouges qui luisent. ils brillent fort, avec entrain et engouement ; ils luttent pour ressembler aux étoiles que je vois dans les yeux des autres. ils sont rouges, si rouges, ses yeux que je me sens transpercé.e de toutes parts, bientôt vidé.e de qui je suis. je n'aime pas dormir seul.e car c'est toujours dans ces moments-là que mon ombre prend le plus de place dans mon lit ; elle est seulement là quand plus personne ne l'est.
J'AI souvent du rouge au cœur, un voile rouge étendu partout autour de moi. le rouge pour parler du jaune, pour parler du orange, le rouge comme une évidence face à tout le sang versé à travers les sanglots. j'ai souvent peur du rouge, il est inattendu et imprévisible. il est tout et son contraire — il est tout et rien — et je ne sais comment faire avec lui. le rouge devant les yeux, le rouge de mes cheveux, le rouge de ce que je ne veux plus voir, le rouge des soirs de colère, le rouge de l'agressivité, le rouge de ce que je veux plus être. les yeux de mon ombre sont rouges, écarlates et luisants, ils sont de ce rouge des premiers mots, des premières fois. et, avec tout ce rouge qui déborde de partout, je ne sais plus comment faire ; il me monte aux joues et je me réfugie dans l'amour des autres.
LE rouge est sa couleur ; la couleur de cet autre qui me ressemble tellement. le rouge est une couleur que j'aime chez les autres, sur les autres, pour elleux. le rouge, chez ellui, je le savoure, je le goûte et le garde comme un trésor. avec ellui, le rouge à l'odeur des roses, des coquelicots et des tulipes et les saveurs de l'été et de ses passions. le rouge est une partie de sa couleur, alors je me dissimule dans ses failles et attends patiemment, obstinément qu'iel me trouve.IEL est doué.e pour joue à cache cache.
IEL s'appelle maïa. mais parfois je doute. peut-être qu'iel s'appelle alice. alice, ça fond sur la langue, c'est doux, ça se savoure, alice. iel n'a pas de deuxième prénom, c'est marrant, ça laisse de la place à alice. à alice, maïa, que des a. plein de a, comme dans amour. peut-être que maïa et alice sont relié.es par l'amour. et parfois, je crois que l'amour c'est un appel à la mort, une façon de se laisser tomber, de s'abandonner aux flots de la vie, de s'oublier — penser. je pense que maïa et alice sont semblables ; iels se comprennent. alice et maïa, je trouve que ça sonne joliment, ça sonne mieux. alice est maïa, non ?
ALICE, je le crois, dessine des étoiles rouges, des étoiles qui filent, qui volent. je pense qu'alice — mon alice — est de ces personnes là. mon alice est rouge. iel a le teint des amoureux.ses, parfois rouge écarlate dans les fondements de la honte. iel a aussi les joues rouges de rires, de pleurs, les joues rouges qui ont cramé au soleil, quelques fois. mon alice a vu le rouge de son sang, aussi. ce rouge qui lui colle à la peau, qui tâche les fleurs de ses lèvres. oui, je crois qu'iel est de ces personnes là. alice aux cheveux rouges, pour se sentir en accord avec le reste du monde, lui faire corps, lui faire le mort peut-être aussi. alice est imprévisible — sauf lorsqu'iel s'enfonce dans les plaisanteries, les taquineries — et solitaire. je læ trouve seul.e parfois, quand iel se plonge dans les livres et les chansons pour s'oublier un instant. j'aime les gens seuls. alice est seul.e parce qu'iel a peur d'ellui-même ; la peur fait faire des choses terrifiantes.
ALICE, je l'aime. je l'aime pour ce rouge ; rouge dans les livres, sur les oreillers, rouge des cheveux, rouge cicatrice, le rouge de ses joues, le rouge de ses souvenirs, le rouge de l'amour qu'iel renferme, qu'iel expose parfois. l'amour, chez alice, avec alice, est comme une exposition, il est présenté là, nu, lui. l'amour, pour alice, c'est les autres, je crois. c'est cet autre qui ne s'appelle pas — iel sait comment il ne s'appelle pas —, c'est cet autre qui un jour, je le pense, je veux le penser, s'appelera maïa. parce que, qu'on le veuille ou non, qu'on le comprenne parfois, toujours ou jamais, maïa est alice.
ET puis maïa, maïa qui fait rougir mes joues, qui écrit dans mes lèvres, qui écrit du rouge dans mon cœur, qui mélange nos cheveux — rouges —, qui m'emmène sous le rouge des salles de concert, qui me fait brûler dans le rouge de l'amour. rouge comme un poème. oui, maïa est rouge. le rouge vient de maïa, je crois. le bleu, lui n'existe pas. c'est comme ça que je vois alice ; je ne læ vois pas. alice, sans maïa n'existe pas. ce n'est pas le bleu qui la fait vivre ; alice n'aime que le rouge.ALORS, quand les yeux de mon ombre sont rouges je pense à maïa — maïa comme un.e alice — et je parviens à m'endormir moins tard, moins effrayé.e. les yeux de mon ombre sont rouges mais, grâce à maïa, j'arrive à les apprécier, à les contempler ; le rouge, c'est aussi la couleur de l'amour. c'est l'amour des autres, l'amour de cet autre — qu'on préférerait être parfois — et l'amour de soi qui, malgré tout, tend à fleurir quelque part.