IL n’y a pas de lien dans ce que je dis — ce que je veux bien dire. et il n’y a aucune raison à ce que j’écris — ce que je suis capable d’écrire — sinon cette soif de mots. ils sont une envie irrémédiable, un élan, un je t’aime, comme ça, comme tout. les mots j’aimerai savoir d’où ils viennent et pourquoi ils sont là. et puis depuis quand ? depuis quand tout ce que je vis, tout ce que je vois, tout ce que je suis, se transforme immédiatement, subitement, en mots ? depuis quand tout cela a-t-il lieu, comment cela est-il possible ? j’aimerai savoir ce qui déclenche les mots, ce qui les rend vivants. est-ce que tout le monde a des mots qui se baladent dans sa tête en permanence, comme un compte à rebours qui n’arrive jamais à zéro ou un ruisseau qui coule pour toujours ? est-ce que je suis seul.e à sentir ce flux qui m’échappe, part sans moi, me fuit, s’égare dans l’oubli ?
JE ne sais pas ce que je veux dire — et je le dis.JE ne sais pas ce que signifie tout ça, tout cet enchaînement, toutes ces choses qui coulent d’un endroit que je ne verrai jamais. cet espace, alors, je l’imagine. j’en prends conscience, je le matérialise à travers les mots ; les mots dans les mots dans ce que je suis, peut-être. je ne sais pas si tout cela a une signification, je ne sais même pas si les mots ont réellement une signification. je pourrai être quelqu’un d’autre et mon ombre pourrait être autrement, différente sans doute de ce que je peux seulement imaginer. je ne suis personne, à force de trop vouloir être quelqu’un, être moi, sans doute. personne n’est quelqu’un ; nous sommes juste là, avec des mots qui nous tournent autour comme pour nous rappeler qu’il faut faire quelque choses de toutes ces vies qui nous sont offertes.
ALORS, laissons aller le torrent, lâchons les fauves et peut-être que rien ne viendra ; les mots n’obéissent à rien, pas même aux fatalités, aux évidences et aux éventualités. il n’y a rien dans ce que je dis, sinon des mots qui se ressemblent, qui tendent à me ressembler — j’aimerai leur ressembler. il n’y a rien dans ce que l’on peut bien dire ; tout est indicible, trop facile à taire. alors, je m’efface quelquefois, quand ce poids des mots oubliés est trop présent, quand je ne sais plus comment exister. j’existe si mal sans les mots, sans ce fourre tout de l’écriture qui me dévore et m'enivre. il est vicieux d’écrire, on finit toujours par se laisser prendre par les mots et bientôt ce sont nos corps qui pendront, vidés de cette épreuve. écrire c'est ce qui ne se dit pas, ce qu'on ne sait pas exprimer, un besoin viscéral et impétueux qui surpasse tout. écrire c'est comme tout, ça ne veut rien dire.
ALORS je n'écris — toujours — pas. je suis là, offert.e aux mots comme quand on s'offre dans l'amour et j'attends que cet éventrement de mon être se passe tranquillement, silencieusement. il n'y a rien dans ce que je dis car il n'y a rien entre mon ombre et moi, rien entre ce qui m'effraie et qui je pense être. elle est moi et je ne suis pas elle. une ombre, c'est semblable aux mots, ça colle et ça entraîne dans un gouffre profond, immense et noir, noir charbonneux, noir néant. j'ai peur du noir, je ne sais pas si je l'ai déjà dit ; j'ai une peur panique du noir, quelque chose qui ne s'en va pas. dans le noir, j'ai l'impression de ne plus être vraiment là, comme si ma personne n'existait plus — je dis ma personne pour qu'on pense que ce n'est pas moi qui disparaît. dans le noir, je réfléchis aux mots d'hier et puis à ceux de demain. je perds alors les mots de l'instant, les mots de l'éphémère ; j'oublie qui je suis.PARFOIS, je pense que j'écris continuellement, j'écris dans ma tête. je suis en permanence assailli.e par des phrases et je me dis il faut que je revienne ça, j'aime cette phrase, j'aime ce que je peux en dire. mais j'oublie toujours, comme si c'était écrit. j'aimerai écrire pour lutter contre l'oubli, pour l'assassiner, ce terrible oubli qui me ronge, mais écrire comporte sa part d'oubli, que je l'accepte ou non. écrire c'est oublier le reste du monde, l'abandonner aux mots, aux miettes de ce qu'il restera de moi. le but final de l'écriture c'est, peut-être, juste de s'oublier, d'apprendre à se laisser tomber.
JE ne sais pas écrire ; je n'écris pas — vraiment. je n'écris pas — toujours. j'écris quand ça me vient, de façon bancale, imprécise, imparfaite ; j'écris comme un coup de poing dans le mur, comme un hurlement, comme un je te hais — en se parlant à soi-même — ou bien comme une fleur qui fane, un soir clair. j'écris comme si je ne savais pas le faire — et peut-être que c'est vrai.
J'ÉCRIS parce que j'ai la conviction profonde et personelle que c'est tout ce que je sais faire.