UN enfant et sa mère lisent un livre pas loin de moi. l'enfant est encore un petit enfant, quasiment encore un bébé. j'ai dû mal à croire que j'ai été comme cet enfant, qu'il sera comme moi, un jour. la mère lui montre le livre, c'est un de mes livres d'enfance — me l'ont-ils volé ? c'est celui avec une chenille, de jolies couleurs et puis quelques trous. je ne me souviens plus du titre du livre alors je cherche sur internet, et je trouve. je trouve aussi vite que j'ai grandi, que je suis passé.e de cet être tout minuscule à qui je suis aujourd'hui.
JE suis jaloux.se de cet enfant à qui ont fait la lecture ; l'enfance me manque parfois. je pense que c'est pour cela que beaucoup de personnes veulent des enfants, pour compenser la perte de leur propre enfance. moi aussi, je voudrai des enfants un peu pour cela. ça doit rappeler de jolis souvenirs d'avoir un enfant, de lui donner un prénom, de lui lire des histoires qui ont été nos histoires d'enfance.
L'ENFANCE c'est comme tout, ça ne dure jamais. alors on la conserve dans des livres, des boîtes, des petits mots, des photographies, des vidéos aussi. l'enfance elle reste dans ce qu'on veut bien lui donner ; elle prend la place qu'on lui laisse. c'est pourquoi, alors que l'enfance a fini de grandir en moi, je me fais tout petit.e. je laisse de la place aux autres, aux plus grands — non, aux plus vieux, après l'enfance il n'y a jamais de plus grands. je me plis en quatre dans un coin et j'attends que l'enfance revienne, qu'elle prenne toute la place. j'attends et quand je vois cet enfant qui sourit devant ce livre dont, en réalité, je me souvenais parfaitement du nom, je comprends que l'enfance ne revient jamais ; je ne serai plus jamais cet enfant aux cheveux fins et remplis de jolies boucles, cet enfant aux yeux bleus céleste, cet enfant qui s'émerveille devant l'un de ses livres préférés. je ne serai plus cet enfant, je ne suis plus un.e enfant ; pourtant je me souviens du nom du livre.JE me suis rendu.e compte, des jours plus tard, que ce livre était le livre de beaucoup d'enfants. des enfants comme celui que j'étais, qui s'endorment en écoutant les mots fleurir sur les lèvres des autres. j'ai lu à un enfant ce livre, celui qui m'émerveille toujours autant, dans le poids des souvenirs qui dégoulinent toujours plus rapidement. je lui ai lu ce livre comme si je me le lisais à moi ; comme si on me le lisait.
C'EST éprouvant de faire le deuil de l'enfance, cette enfance qu'on nous retire trop tôt, trop vite, sans qu'on y soit réellement préparé. l'enfance se cache de moi, je la perds de vue et je perds pied sans elle ; qui suis-je sans l'enfant que j'étais ? qui suis-je sans ce qui m'a construit, sans ce que j'ai construit ?
JE ne suis plus un.e enfant mais je ressens encore ce tourbillon tiède et agréable qui court dans mon corps ; ces restes d'enfance que je trouve dans ma résistance au temps. je conserve précieusement cette parcelle d'enfance que je sens se tordre en moi, se débattre même parfois. elle abîme mes organes, veut casser mes os, déchirer tous les tissus de mon corps ; elle veut sortir, cette enfance. elle aussi veut me quitter, me fuir. je perds alors tout ce que j'étais ; je me défais — sans pourtant le vouloir — de qui j'étais. comment être de nouveau, dans ce cas précis ? comment être sans se perdre ?
L'ENFANCE veut sortir de moi ; c'est presque comme si j'attendais un enfant. et, sans même le pouvoir, j'attends que l'enfance sorte de moi, qu'elle soit libre ; elle deviendra papillon.