MON OMBRE A PEUR DU NOIR

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     MON ombre, la nuit, dort dans mon lit ; elle n'aime pas quand nous faisons chambre à part alors nous ne le faisons quasiment jamais. parfois, je résiste à l'envie terrible, ce vertige fou, de lui hurler d'aller se faire foutre, de me laisser tranquille mais je finis toujours par ne rien dire ; une ombre ne connaît pas la solitude. mon ombre est faite de solitude, elle est là pour me tenir compagnie et elle prend ma main quand j'aimerai faire craquer tous mes os, quand j'aimerai en finir avec la colère — d'un coup de poing dans le mur. je n'aime pas mon ombre car elle intervient toujours, et ce comme une nécessité, une fatalité même, quand je ne m'aime pas.
     J'AIMERAIS souvent que mon ombre soit fugueuse, qu'elle se cache de moi tout comme je me disparais quand elle est là. mais non, mon ombre ne connaît pas le ressentiment, elle ne me déteste pas ; elle ne veut pas s'enfuir, elle n'aime pas se fuir. et moi, pourtant, je suis percé.e, je me plais aux fuites. je trouve une complaisance certaine dans l'absence de moi-même, ma propre absence, parce que je m'aime si mal — parfois je me demande s'il ne faudrait pas mieux que je me déteste.
     MAIS, au fond, quel est ce gouffre en moi, cet abîme qui me détruit, qui abîme qui je suis. il y a de la haine en moi, dissimulée sous les promesses et les excuses ; une haine si grande que je ne parviens pas toujours à l'étouffer ; pourquoi c'est si simple de se détester ?
     MON ombre devrait me détester, je sens que parfois elle veut me haïr. je pense qu'elle n'est pas capable de le faire ; elle le veut mais elle ne le fait pas. ce n'est pas moi qui vais lui dire de m'aimer ; s'aimer je ne sais pas ce que ça veut dire.

     ET il arrive des moments où je me déteste vraiment, où la haine de qui je suis est partout. elle m'entoure, cette chienne, et je la sens qui s'amuse à me tourner autour. elle se délecte de la peur dans mes yeux et savoure les frissons de ma peau. elle me méprise d'être si faible et de me laisser aller si facilement à elle. je déteste la haine de moi-même si fort ; elle est comme une intruse que j'ai, un jour, acceptée dans ma maison, dans qui je suis. je l'ai hébergée parce qu'elle semblait seule et que moi, je n'étais personne. je n'étais personne parce que je n'avais personne ; aujourd'hui je ne suis personne parce que je n'ai qu'elle.
     IL arrive des moments où je me déteste réellement, presque comme si je faisais semblant depuis tout ce temps. se détester, c'est oublier de s'aimer, oublier comment s'aimer, c'est perdre la conscience de qui on est ; prendre conscience de qui on n'est pas. je me déteste, je me déteste de me détester, je me déteste de détester me détester. alors, c'est fini, c'est la fin d'une vie, la fin de qui j'étais ; je perds la tête. je vrille et je cogne les murs et je hurle et je pleure et puis je me déteste et je me déteste de me détester et je me déteste de détester de me détester et puis oh ! même mon ombre me déteste, tout le monde me déteste ; je me déteste

ET j'entends le parquet qui craque,
— alors qu'il craque tout le temps --
et j'entends le téléphone qui vibre,
ça fait un bruit sec, cassant même,
et j'entends les mots qui fluctuent partout autour de moi,
ils se cognent sur ma peau
— j'aurai un bleu demain —
tout existe si fort autour — de moi —
c'est vicieux tout ce bruit, toutes ces lumières,
c'est vicieux le monde ;
c'est beau mais c'est trop.
et moi je pleure ce surplus, cet envahissement de moi, de toi,
de ce qui compte vraiment, de ceux qui ont toujours compté,
c'est trop ;
tout ce bruit ;
je me déteste

TAIS toi
tais toi
tais toi tais toi
tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi ferme ta gueule — je dis au monde de se taire
tais toi — me dit mon ombre — et moi je ne la comprends pas ; elle n'est pas comme toi
t'es toi — elle me dit — et moi je ne la comprends pas ; elle n'est pas moi
tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi tais toi ferme ta gueule — je dis à qui je suis de se taire
tais toi tais toi
tais toi
tais toi

JE n'entends plus le parquet qui craque
— alors qu'il craque tout le temps —
je n'entends plus le téléphone qui vibre, encore plus sec, plus cassant ;
j'entends le silence,
j'entends ce qu'il me dit, ce silence
tais toi
il me brise en deux, ce silence
elle me brise en deux, cette putain de haine
— moi-même sans m'aime —
mais je n'entends plus le parquet,
je n'entends plus le téléphone
alors j'écoute le silence,
le silence me dire t'es toi
pour que j'arrête de me détester

JE comprends, seul.e
dans le silence des autres et ce que je pense être,
dans le silence de ce que je voudrai être,
et dans celui de ce que je voudrai taire,
je comprends que je me déteste déjà assez pour toute une vie,
que je devrai donner un prénom à ma personne,
celle que je déteste

L'IDÉE vient de façon naturelle, évidente ; je viens de là
fau
un raisonnement étrange, peut-être un symptôme de la détestation de toi, me poursuit
faux
et alors, apparaît l'ombre, le processu est terminé ; je la distingue comme si je regardais un miroir
illusion
c'est fini désormais, je sais qui je déteste ; une partie de moi qui ne sera plus moi.
oui, mon ombre est illusoire, mon ombre n'est qu'illusions.

mon ombre a un prénomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant