Les liens qui se tissent

110 9 10
                                    

Hassan était toujours détenu dans le bâtiment, Shepherd ou Laswelln'avaient pour l'instant donné aucune instruction. Personne n'avait été enlevé, aucun trafiquant ne devait être attrapé. Le calme régnait. Ouais, aujourd'hui sonnait comme une journée de repos pour tout le monde sur la base. Même les gardes chargés de le surveiller avaient les traits moins tendus et profitaient de la chaleur du soleil pour fumer et jouer aux cartes. Charlotte s'était difficilement levée au zénith, dans une chambrée vide. Elle était restée quelques minutes à contempler le plafond, profitant de la solitude pour s'étirer avant de prendre une douloureuse décision, celle de s'extirper de la chaleur des draps. Le repos ne signifiait, après tout, pas rester sans rien faire. Armée de son fusil et de balles à blanc, sirotant un café noir particulièrement corsé, elle se tenait devant des cibles de métal et de papier. Derrière ses lunettes de soleil, de derniers réglages étaient effectués sur le viseur du fusil. Une fois le café terminé, la tasse en métal trouva sa place sur le sable, et précautionneusement, le fusil fut chargé, la bandoulière entoura son bras alors qu'un cigarillo brûlait entre ses lèvres.

- M'engueule pas d'là-haut, Arthur. Marmonna-t-elle.

Son mentor lui avait, en effet, toujours interdit de fumer en tirant. C'était toujours courir le risque stupide d'être déconcentré par l'un ou l'autre. Tout en fumant par le nez, sa joue vint se coller au fusil et son œil gauche perça le viseur. Tirer était devenu son moment méditatif, les claquements réguliers de l'arme lorsqu'elle rechargeait, son recul presque confortable au creux de son épaule, le mouvement de ses épaules et de son dos lorsqu'elle tirait, la régularité des sons et des mouvements lui faisaient perdre toute notion du temps. Tirer signifiait se détendre, oublier le geste malheureux d'Éric que tous semblaient vouloir enterrer. Tirer, c'était anesthésier la peine physique et le tourbillon de ses pensées. Son cigarillo maintenant éteint, il ne lui restait qu'un morceau en bouche et de la cendre à ses pieds. Fusil contre sa poitrine, elle écrasa ce qui en restait au fond de sa tasse.

- Ca t'dérange si j'me joins à toi, French Girl?

- Aucun problème, Sergent.

- Soap est suffisant, Cailín.

La jeune femme observa un instant le sourire amical de l'homme alors qu'il venait se placer à côté d'elle, un fusil reposant entre ses bras. Après quelques tirs d'échauffement, une véritable joute s'engagea entre la Française et l'Ecossais. Ils étaient tous les deux précis, mais Soap se révélait être bien meilleur, bien plus précis et minutieux. Il avait derrière lui, l'expérience qui manquait à la jeune mercenaire. Tous les deux de bons tireurs, la compétition ne servait plus à rien, mais de sages conseils étaient toujours appréciés. Soap s'arrêta plusieurs fois de tirer afin de corriger la position de la mercenaire et lui murmurer des conseils avisés. Charlotte l'écoutait à chaque fois et appliquait les instructions avec une certaine assiduité. Soap était d'une compagnie agréable, malgré son humour pinçant, et un peu lourd mais un excellent professeur.

Sur les coups de 17h00, qu'ils tombèrent à court de munitions, le soleil se couchait lentement dans leur dos, et projetait d'éblouissants rayons oranges, presque dorés. Ils regardaient, fiers, les cibles criblées de balle, les têtes et les torses éclatés, les rayons du soleil passaient au travers des trous et venaient se coucher à leurs pieds. Le sergent et la mercenaire échangèrent un rire commun en baissant leur fusil. Charlotte essuya de la sueur de son front avant de fouiller dans les poches de son pantalon.

- J'voulais te demander, il signifie quoi ton surnom ? 

- Le tien d'abord.

- Ah ah, c'est secret.

- Le mien aussi. Plaisanta-t-elle en s'allumant un nouveau cigarillo.

Soap rit, amusé, mais insista afin d'avoir une réponse tout en fumant avec Charlotte. Tout en repassant le fusil sur son dos, Sa voix prit alors le ton de la confession, laissant transparaître une lueur nostalgique dans ses yeux bleus.

Gloria Victis [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant