Juliette : Delombart et compagnie

5 0 0
                                    

Le corps entier y passe. Tête, cou, épaules, bras, bassin, genoux jusqu'aux doigts de pieds et des mains. Presque plus long qu'en sport ! Au début, je reconnais certains mouvements. On réveille les articulations, s'étire, coordonne nos membres. Puis il nous fait bailler. Très bruyamment. Loïc met sa main devant sa bouche. Il la lui fait enlever.

— Ouvre la bouche, indique-il. Le plus grand possible. Je veux voir les petits déjeuners!

Gloussement général. On a l'air de baleines échouées. Ou de zombies sans costume. Ses gestes sont complètement ridicules, mais tout le monde s'applique à l'imiter. Quand il s'arrête brusquement après nous avoir fait sauter dans tous les sens et grimacer de manière tout à fait incontrôlable, je me surprends à sourire comme eux.

Notre tuteur plaque une main sur son ventre et l'autre au niveau de son cœur. Son corps semble rebondir légèrement sur le parquet, comme s'il ne contrôlait pas ses chevilles.

— Vos profs de sciences vous l'apprendront mieux que moi, mais sans air pas de vie, sans vie, pas de parole, donc pas de théâtre – enfin si l'on exclut le mime et tout le muet et le...

Il se fait taire lui-même d'un tremblement de tête qui envoie voler sa franche.

— Bref, c'est pas le sujet.

Il exagère une inspiration et nous invite à l'imiter. Ses consignes s'ajoutent au fil de l'exercice : détendre la gorge, faire des vocalises. Grimacer, encore. C'est plutôt... amusant. Étrange, mais drôle.

— Bien. Passons maintenant aux présentations.

Le professeur – qui ne s'est toujours pas présenté, demande à la personne à sa droite de donner son prénom et d'y ajouter un geste. Souria repousse la cascade de boucles qui lui encadre le visage. La suivante reprend le nom de sa voisine, son mouvement, et claque des doigts. Inès, Lucie, Ophélie, la liste s'allonge. Elles s'en tirent plutôt bien... mais leur amitié doit les avantager.

Mon tour arrive trop vite. Evidemment, je m'emmêle les souvenirs.

— Commence déjà par les noms, si tu préfères.

— Souria, Inès, Lucie, Ophélie, Noûr, Faustine...

Mon regard se bloque dans celui de l'attaqueuse-par-surprise. Elle s'appelle... Ewen. Mais je n'arrive pas à le prononcer correctement. Erène, Iwène, Euwaine, Evenne... tout y passe. Mes joues chauffent de mon erreur, et je m'excuse aussitôt d'avoir écorché son prénom. Elle secoue la tête pour me dire que ce n'est rien, et le cours continue. Ma double honte s'affaiblit au fil des exercices, et des petits jeux de mémoire que le professeur nous fait subir.

Il s'amuse à changer les modalités de l'épreuve : dans l'ordre alphabétique, le désordre, en riant, en pleurant, en baillant, juste avec les consonnes puis les voyelles... Loïc a le droit à une règle plus que compliquée : regarder une personne dans les yeux, mais donner le nom de celle à sa droite. Les autres retiennent leur souffle quand il prend la parole. Doigts entortillés dans ses manches, le visage tout plissé par la concentration, il finit par y arriver malgré tout, ne s'arrêtant qu'une fois face au professeur qui avoue :

— Et moi, au passage, c'est Matthieu Delombart.

Et il reprend ses exercices. Nous devons nous lancer des ballons imaginaires, se passer des objets qui n'existent pas, inventer un mot auquel notre voisin donne une définition loufoque. Quand les jambes commencent à tirer, Matthieu Delombart nous fait asseoir et nous propose le jeu des imitations. Tour à tour, je découvre des animaux qui n'existent pas, un courant d'air, un nuage plein de neige, un pot de yaourt vide... où trouve-t-il toutes ses idées ?

Juliette Juliette(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant