XV. Le Nemeton de Duir

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Après s'être laissée aller à la grogne, la météo semblait s'être assoupie. Cela facilitait grandement l'avancée de Skrifenn qui parvint à longer en quelques journées les plages brillantes et les falaises abruptes de cette mer creusant l'Île-Lune en forme de croissant de Lune, exactement comme le faisait la Mer'Intérieure avec l'Île'Creuse. Cette étendue d'eau salée était presque affectueusement nommée la Petite'Sœur.

Sans qu'ils ne le sachent jamais, car elle restait cachée dans la Forêt, Skrifenn observa des habitants de l'Île'Lune. Elle vit quelques hommes et quelques femmes à la peau très sombre, comme la terre nourricière. Ils portaient des vêtements aux motifs joyeux et stylisés qui l'intrigaient. Les Effrets aussi aimaient porter des habits chamarrés, parfois même complètement bigarrés. Puisque ce peuple avait fondé leur richesse et leur influence sur l'extraction de l'or, ses membres se paraient souvent de beaux bijoux précieux. Pourtant, ils limitaient leurs contacts avec le reste du Monde Connu, et même de Nodacie. Quelques plaisantins de bon goût les disaient neutre comme l'eau. Skrifenn se disait qu'ils avaient bien raison de rester au calme dans leur coin... Elle savait seulement que ce district s'appelait Orgha et que les orghans venaient d'un endroit du Monde Connu appelé « Afrique ».

L'instinct de Skrifenn lui dicta de s'approcher de la falaise et de se pencher au-dessus du rebord. Une crypte était nichée en contrebas. La marée était basse, de haut menhirs entièrement gravés surgissaient du sable blond et des vagues.

Pourtant, aucune trace de Duir.

Skrifenn se hâta de trouver un endroit où descendre. Par chance, un escalier avait été aménagé à même la roche, ici aussi. Elle avait failli passer à côté tant il se fondait dans le décor.

Il était dit que le chêne était le symbole du savoir, que ses fruits nourrissaient l'esprit et l'âme. Par conséquent, il était l'un des emblèmes Du Dagda, le Roi des Enfant de Dana. Mais au Nemeton de Duir, l'arbre était associé à Dana, déesse protectrice, magicienne et parfois aussi guerrière. Ce lieu était également lié aux Fir Bolg, ces êtres qui s'étaient si longtemps battus et violemment déchirés avec les Fomoires, se moquant des conséquences. Alors, les deux peuples avaient été puni. Ils avaient perdu le droit de vivre à la surface de l'archipel d'émeraude. Les Fomoires avaient été envoyés dans le royaume de Manannan, sous les vagues, et les Fir Bolg, sous la terre.

Sur cette pensée, Skrifenn se retourna et s'approcha de la cascade qui grondait dans un coin de la crypte. Elle cachait une immense trouée, dans la falaise, qui avait été formée par le temps et la mer. Il était indéniable que c'était une porte vers le monde souterrain. Elle tenta à nouveau sa chance :

― Je te salue, Peuple des Fir Bolg. Je suis Skrifenn, fille d'Idad.

Elle attendit, tendit l'oreille. Mais seul le tumulte de la cascade lui répondit. Des sons suraigus lui parvinrent soudain. La jeune fille crut un instant qu'il s'agissait de quelques être souterrains qui venaient à sa rencontre. Elle se rendit vite compte de sa méprise. Une nuée noire jaillit de l'obscurité dans une anarchie cacophonique.

Skrifenn se recroquevilla sur la plage, protégea sa tête de ses bras. Un cri lui échappa. Elle sentit de minuscules griffes l'égratigner, des membranes de chair la gifler. La jeune Effret entre-ouvrit les yeux pour comprendre ce qui lui arrivait. Elle fut ébahie lorsqu'elle saisit qu'il ne s'agissait que d'une colonie de chauve-souris. Elle lui tournait autour en grinçant, comme si chaque individu était totalement confus.

- Assez !

La nuée s'écarta d'elle, s'envola vers le lointain.

En comparaison avec le cris suraigus des chauve-souris, même le fracas des vagues et de la fine cascade sembla silencieux, comme s'il ne s'était rien passé. Les avant-bras de Skrifenn, eux, gardaient quelques souvenirs filiformes et rougis de cette étrange mésaventure.

Elle décida de ne pas y prêter attention. Parfois, un individus prenait peur et la colonie toute entière paniquait. La jeune fille se défit à nouveau du poids de ses bagages et de ses brogues, prit une grande inspiration, puis elle prit son courage à deux mains pour se glisser entre le mur d'eau et la paroi rocheuse.

Sept étoiles en moi sommeillent...

Une orbe lumineuse suspendue au-dessus de sa main lui permit d'avancer précautionneusement. Chaque parcelle de la paroi était gravée, comme dans un cairn, puis incrustée de divers pierreries et on devinait encore les traces de meintures que personne n'avait couru le risque de venir raviver - trop proche de la surface te des Continentaux. Mais Skrifenn pouvait encore lire que les gravures n'étaient nullement macabres. Au contraire, elles narraient les origines des Fir Bolg et de chaque peuple vivant sur Avalon, tels que les Fées, les Selkies, les Korriganned, les Piskies, les Fomoires, les Kelpies, puis des Enfants de la Forêt, et, bien évidemment, ces gravures célébraient la naissance de Dana, ainsi que la vie et les prouesses de ses enfants.

Certaines parties des parois avaient été grattées, volontairement débarrassées de leurs peintures et de leurs magnifiques mosaïques précieuses. Le Peuple'Oublié.

Quelques pierres incrustées dans la roche commencèrent à briller au passage de Skrifenn, pour se rendormirent aussitôt. Ils se firent de plus en plus nombreux, nimbant les lieux d'une aura dorée. Skrifenn n'avait plus besoin de sa magie, alors elle fit disparaître son halo. Elle atteignit finalement une grotte si grande qu'un petit village aurait pu s'y terrer. La brune ressentit l'étrange besoin de contempler les lieux avant d'y méditer. C'était comme se retrouver à mi-chemin entre deux mondes très différents, mais intrinsèquement connectés.

Au centre de la coupole, une trouée illuminait la vie souterraine. Entouré de menhirs semés ici et là, se dressait un magnifique chêne au tronc creux, mais au branchage tendu comme d'innombrables bras aux doigts écartés, supportant des fruits dorés. Son écorce et ses feuilles semblaient emmagasiner et renvoyer la lumière naturelle qui les baillait. Juste au-dessus de son tronc creux se trouvait une marque : une barre verticale, avec deux segments horizontaux en bas, sur sa droite. Cet ogham se lisait « Duir ».

Skrifenn alla s'asseoir sans plus de cérémonie dans le trou de l'arbre.

― Je suis Skrifenn, fille d'Idad. Et je serai une grande vate.

Après Beith et Nuin, pour la troisième fois de sa vie, Skrifenn sentit l'aura magique tout autour d'elle. Elle l'enveloppa et l'imprégna, avec douceur mais fermeté. Par la profondeur de ses racines et la hauteur de ses branches, Duir était le relieur entre le monde d'en-bas et le monde d'en-haut, il était le gardien des portes entre les dimensions. Il ébranlait le ciel et la terre. Et pourtant, Duir n'était que savoir et force de caractère. Une force tranquille. Qu'il ne fallait pas chercher.

Les nœuds, les formes et les oghams gravés dans les menhirs, ainsi que le chêne tout entier s'illuminèrent d'or. Il ne fallut pas attendre un seul instant pour que cette lumière-ci soit si puissante qu'elle pouvait éclairer la nuit comme en plein jour.

La leçon qu'il fallait intégrer au Nemeton de Duir s'imposa à Skrifenn sans cérémonie : le savoir était une arme.

Duir, arbre de druide,
Que ta force spirituelle,
Élève nos esprits,
Dans ta maturité.

Duir, Duir le grand, le fort,
Qui nourrit de ses glands,
Le noble sanglier,
Fais-moi plus résistante.

Un peu de la lumière de Duir passa dans la gemme de Skrifenn. En fermant les yeux, elle l'accueillit simplement.

Éternel - Codex 2 - D'Écorce et d'ÉpreuvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant