XVI. De crocs d'argent et de sang pourri

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Quelques nuages paresseux dégagent la Lune-pleine dans le ciel, miroir d'argent parfait, observant le monde de son œil unique. La Bête se leva avec des mouvements lents, désarticulés. Elle lâcha un soupir rauque. Son échine hérissée de poils drus frissonna. Ses yeux bleu givre, luisant dans l'obscurité, parcoururent la pièce du regard. Elle lui laissait un détestable goût de familiarité sur sa longue langue baveuse, mais cette chambre était surtout trop petite pour elle.

L'extérieur, la Forêt'Mère l'appelait, telle une voix sirupeuse de femme ensorcelante.

Ainsi que la faim et le sang, comme une pulsion exacerbée par la nuit.

La Bête traversa la pièce, tantôt à quatre pattes, tantôt sur ses antérieurs courbés. Elle posa sa grosse main, à la forme vaguement humanoïde, pourvue de longues griffes affutées, sur la porte de bois massif. Des veines serpentaient sous la peau gris foncé, elles se gonflèrent de sang noirâtre lorsque la créature banda les muscles de son bras pour pousser sur la porte. L'idée d'abaisser la poignée ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Après une suite de crissements de bois et de métal enfoncé, la porte s'effondra contre les dalles de pierre du couloir.

Parcourant ce qui était pour elle de véritables boyaux de granite gris, la truffe en l'air, il ne fallut pas longtemps pour qu'elle rencontre quelqu'un. Une pauvre servante travaillant tardivement. Elle hurla, se qui fit se coucher les longues oreilles pointues et velues que la créature avait de chaque côté de la tête. La Bête hurla de façon plus plus effrayante que la femme. Celle-ci abandonna son plateau qui se fracassa au sol, puis s'enfuit. Il n'en fallut pas plus pour exciter ses instincts de prédation. Ses quatre longs membres la propulsèrent en avant.

Elle tendit une main pour attraper la servante, mais elle ne fit que griffer son mollet. La proie tourna à un coude. La Bête, ennuyée par l'espace exigu en comparaison de sa taille effrayante, ne fut pas aussi leste, et rencontra le mur. Elle se redressa sur ses quatre pattes, secoua la tête, s'élança en suivant l'odeur olfactive qui puait la terreur.

Une lance la manqua de peu, entaillant sa joue couverte de longs poils épars. La créature mugit, frappa au hasard tout en reculant. Dans sa traque, elle était finalement tombé sur deux gardes en pleine ronde, interpelés par les cris de la femme. Cette dernière s'était cachée dans la première pièce ouverte qu'elle avait trouvé. La Bête le savait car elle voyait des gouttes rouges disparaître sous une porte, ce qui lui donnait envie de se lécher les babines.

Sauf que les gardes se trouvaient entre le prédateur et sa proie.

Il ne fallut pas longtemps pour qu'une dizaine de soldats s'agglomèrent autour de la créature.

― Une bête démoniaque !

― Elle doit venir de la Forêt'Maudite !

― Elle a essayé de dévorer une servante !

― Il fait l'abattre !

Une sagaie fut lancée à l'aide d'un propulseur, droit au cœur. La Bête se déporta, le projectile traversa son épaule et y resta fiché. Elle hurla et recula. Des épées piquèrent sa peau sombre. Celle-ci était trop solide pour être lacérée par de simples estoques. Des stries de sang noirâtre se dessinaient malgré tout.

La créature était acculée. La poitrine vibrant de colère, elle arracha la sagaie de son corps. Des giclures de sang entâchèrent le sol et les guerriers. L'odeur de pourriture qui s'en dégageait fut si intense, qu'elle fit reculer les soldats, l'avant-bras sur le nez, eux qui n'étaient pourtant pas étrangers à la fragrance de la mort.

La Bête avait des crocs et elle voulait s'en servir ; elle voulait aller chasser dans l'air humide de la nuit. Ces bipèdes n'étaient qu'une gêne. Elle s'élança, évitant cette fois le fer des armes. Attrapant des hommes comme s'ils n'étaient que des poupées de chiffons, elle les jeta, les utilisa littéralement pour en frapper d'autres. Sa taille était un point faible entre ces murs, en faisant une cible facile qui ne pouvait se déplacer aisément. Alors elle courut en avant, flairant un filet d'air provenant de l'extérieur. Tant pis pour sa proie, elle en trouverait plein d'autres.

Éternel - Codex 2 - D'Écorce et d'ÉpreuvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant