Article 731

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Il resta émerveillé devant ce spectacle durant des heures, il était trempé jusqu'aux os, mais peu lui importait. Tout ce qu'il attendait depuis des années était réuni, là, à ce moment, et se déroulait devant ses yeux qui scintillaient. Un éclat de rire, parmi des éclats. Un écho, parmi des écho. Un hurlement parmi des cris. Tout était confondu, tout était brouillé, mélangé. Il pleurait, hurlait, riait, souriait. Il était si fier de pouvoir se tenir ici, sur ce rocher, au bord du gouffre, au dessus de tout, et pouvoir admirer tout ce qu'il lui était interdit de voir, depuis son enfance. Prisonnier de sa vie, de sa ville, et de sa communauté, il avait enfin trouvé une voie de secours, une sortie vers quelque chose de grand, et d'inconnu. Un rire, parmi des pleurs. Un Homme parmi des bêtes.


Rue 667, il allait tourner, encore et encore comme toujours. Sauf qu'elle s'était déplacée à son tour, elle n'était plus à son endroit habituel, et il le remarqua, alors il s'arrêta. Derrière elle, derrière cette grande demeure qui finissait la Rue 666, abandonnée depuis trois siècles, s'était formée une montagne durant la communion des deux plaques tectoniques, et depuis cette confrontation, un rocher s'était, lui aussi, formé au sommet et à la pointe de son édifice. Tel un clocher sur son église. Elle se n'était portant jamais posée ici, et puis même il était interdit de s'arrêter et de contempler la demeure, les autorités en avaient décidé ainsi. Il s'arrêta, hésita, et attendit.

Allait-elle bouger ?  se demandait-il. Non, elle restait inerte, immobile, s'était plantée comme un pique dans le sol dur et inflexible. Si les autorités passaient par là, elle aurait été placé derrière quatre barreaux, et aurait été pendu deux jours après pour le motif de « Non respect de la Loi 1450, de l'article 731 du livre V » dans laquelle il était inscrit à la plume « Interdiction formelle de passer ou de marcher sur le sol de la Rue 666, et d'y observer la colline, ou la maison, sous peine de mort. »

Par quel moyen était-elle arrivée dans cette rue ? Avait-elle réussi à escalader seule la grille et les barbelés ?

Rien ne semblait logique aux yeux de Aharon. (Oui, car depuis sa réformation, ils l'avaient appelé ainsi, et devait s'y contraindre. De ce fait, il en oublia son réel prénom, c'était comme un code pour les autorités, grâce auquel lequel ils pouvaient tout connaître sur la personne, sa situation, son âge, sa famille, ses antécédents, etc.) Il fallait qu'il lui vienne en aide, car sinon personne ne le ferait, et puis cette femme qui l'observait depuis des mois, ne pouvait pas mourir sans lui en avoir donné la raison. Il monta et escalada la grille, mais il entendit une patrouille arriver. Alors il redescendit aussi vite qu'il pouvait, et instinctivement se retourna et observa l'allée de la Rue 666. Elle n'était plus là, la rue était vide. Si vide d'ailleurs. Elle s'était comme volatilisée.

Il ne comprenait pas, et associa « cette apparition » au manque de sommeil. Pourtant, elle lui avait semblé si réelle, si proche, si humaine.


Depuis quelques temps, et même depuis cette nuit là, son sommeil se faisait plus court, et plus perturbé. Il ne s'endormait plus à des heures fixes comme avant, il se réveillait souvent au beau milieu de la nuit, ne sachant l'heure, en sueur. Et toujours il faisait le même rêve ; un chêne sur une colline, un « flash » blanc, un halo blanc, et puis plus rien. Mais entre les deux, une apparition d'une silhouette, mal dessinée, qu'il n'arrive pas à distinguer car le vent et la pluie fouettent son visage et l'empêchent d'ouvrir correctement les yeux. Et à chaque fois, le même réveil, à des heures différentes, alors il dessine son rêve, dans son carnet qu'il cache à chaque fois dans un endroit différent, par exemple la semaine qui précédait ce jour, son carnet était dans une vieille boîte, toute bossue, dont le cuir était devenu trop vieux et se feuilletait, qui elle-même se trouvait au fond de son placard, dans sa cachette secrète, où il y gardait tout ce que les autorités avaient interdits ; appareil photo, une photographie, une broche, une boucle d'oreille (il n'a jamais su comment il avait égaré la deuxième) et enfin un livre. Depuis les nouvelles lois, aucune photographie n'était autorisée, et tous les livres qui portaient « atteinte au gouvernement en place » avaient été brulé.


Personne n'avait et ne pouvait résister, ils avaient à se plier sous peine de mort.

Le spectacle se termina enfin, après quelques heures, mais il sembla à Aharon, qu'il demeura durant des jours entiers. Il en était si heureux, cela l'avait embelli, et changé à tout jamais. Dans ses yeux les images défilaient encore et encore, à tout jamais elles resteront graver. Sur la peau de ses yeux, sur celle de son coeur. Jamais il ne pourra oublier un tel spectacle, une si belle oeuvre d'art. Mais selon l'article 731, il est interdit de contempler le ciel, quand l'Orage vient. Interdit sous peine de punition, voire de mort. Néanmoins peu lui importait ; la règle, les lois, il était là, présent, hors du temps, hors de tout, devant le Monde entier. Il se tenait rigide, debout, ses pieds s'étaient dorénavant ancrés dans le sol, et ne bougeaient plus. Sa tête était levée vers le ciel, les yeux restaient grand ouverts malgré la pluie, et ses bras se tendaient vers le ciel. Il ne savait ce qu'il faisait, s'il priait quelqu'un ou quelque chose, mais il criait, en espérant qu'un jour ses requêtes soient exaucées.


L'article 731 n'était qu'un début d'une longue série...

OrageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant