XIII. 12 janvier 1958 - le portail

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Lucretia leva son poing mais hésita au dernier moment. La porte lui faisait face, aussi immobile et imposante qu'il y a cinq minutes. Elle tenta de faire taire la voix qui lui soufflait de repartir en courant. Pourquoi se faire du mal si elle savait pertinnemment que ça n'allait mener à rien ? Mais les paroles de son oncle résonnaient encore dans son crâne. Il n'y avait pas d'obstacle pour un Black. Et après tout, peut-être s'imaginait-elle ses propres misères. Peut-être avait-elle passé trop de temps à spéculer et faire des hypothèses, quand tout ce qu'il suffisait de faire, c'était oser et voir ce que cela donnait.

Avant qu'elle n'ait pu toucher le bois de la porte, celle-ci s'ouvrit en grand. Elle échappa un hoquet de surprise. Aliver passa l'entrouverture de la porte et appuya son épaule sur le côté, un sourcil relevé.

— Je me demandais combien de temps encore tu allais rester sur le seuil de ma maison, mais à l'évidence, longtemps.

Elle baissa la tête pour dissimuler son sourire. La demeure d'Aliver était bien plus petite que les Manoirs des Black, aussi avait-il vue sur toute la cour intérieure depuis n'importe quelle pièce. Son amusement s'évanouit quand elle se souvint de la raison qui l'avait menée jusqu'ici.

— Je suis venue pour...

Mais sa gorge se noua et elle n'arriva plus à parler. Elle ne savait même plus ce qu'elle voulait dire. Pourquoi être venue ? S'excuser ? Elle avait été ingrate envers lui, ingrate envers tout ce qu'il lui avait offert depuis leur rencontre, irrespectueuse, indigne de sa compagnie. Elle avait enchaîné les nuits en le comptant parmi sa liste d'homme à coucher avec, en sachant pertinemment qu'il valait plus que cela. Allait-il accepter ses excuses pour tout ça ? Certainement pas.

Elle recula, troublée.

— Je crois que c'était une erreur, souffla-t-elle.

Elle se retourna et marcha dans la neige tendre. Elle n'avait pas froid ; une seule brise fraîche caressait sa peau. Pourtant, elle tremblait de tout son corps. L'impression de revivre cette nuit fatale lui donna la nausée. Elle recommençait. À ne plus croire en ce monde, ne plus croire en elle. Mais elle n'arrivait pas à faire autrement. Elle n'arrivait pas à s'imaginer quelque chose de meilleur. Penser qu'elle avait sa chance et que sa vie s'éméliorerait, c'était comme les mensonges que l'on racontait aux enfants pour qu'ils deviennent plus heureux. C'était bien d'y croire, mais ce n'était pas vrai.

Elle arriva jusqu'à la grille et essaya de l'ouvrir. En vain. Elle avait beau tirer, le portail s'était refermé et refusait de la laisser sortir. Aliver était encore debout devant le seuil, les mains dans les poches, occupé à la regarder partir.

— Ouvre, s'il te plaît, cria-t-elle.

Il ne bougea pas. Les sorts de protection de sa propriété l'empêchaient de transplaner. L'agacement la gagna. Elle avait pourtant pu entrer sans problème, alors pourquoi...

Elle comprit quand il avança pour la rejoindre. Aliver ne l'avait jamais poursuivi, il l'avait toujours laissée décider pour elle-même sans l'empêcher de faire quoi que ce soit. Et en refusant d'ouvrir le portail, il ne renonçait à aucun de ses principes. Elle avait décidé d'entrer, à elle d'en accepter les conséquences.

Alors elle lui fit face la tête haute. Au moment où elle crut qu'il allait s'arrêter, suffisemment loin pour tenir une conversation normale, il avança plus près, elle recula jusqu'à sentir une grille s'enfoncer dans son dos, il ne laissa que quelques centimètres entre leurs corps, assez proche pour saisir les deux barres en fer de chaque côté de son visage. Elle osa à peine respirer.

— Tu voulais à l'évidence me dire quelque chose, dit-il d'une voix grave. Alors dis-le.

— Non, ça n'a aucune importance, répondit-elle un peu trop vite.

Déclin - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant